« L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France », tel est le titre du premier chapitre d’histoire du programme de Terminale générale.
C’est une thématique qui m’intéresse beaucoup. Mais je ne trouve pas qu’elle soit bien indiquée pour un devoir de Bac. Voici un peu la manière dont je l’aborde avec mes élèves de Terminale… en la complétant ici de quelques réflexions personnelles
On ne se contente pas dans ce chapitre de présenter des faits et de les analyser (ce qui est le cas du reste du programme d’Histoire dans le Secondaire) mais on essaie aussi de réfléchir sur la perception des événements par la population et ses dirigeants hier et aujourd’hui.
Dans le contexte géopolitique tendu que nous connaissons actuellement, il est à mon avis essentiel de conserver la mémoire du feu...(bref la mémoire de nos guerres sanglantes du XX e siècle) : peut-être pourrons nous ainsi ne pas être tentés d’en allumer un nouveau et laisser symboliquement notre Président ranimer la flamme d’un feu contenu, celui qui brûle près de la tombe du soldat inconnu et entretient la mémoire de nos morts à la guerre.

Le Président Hollande ranime la flamme du soldat inconnu le 8 mai 2016 à l’Arc de Triomphe
L’idée principale de ce chapitre est que la perception de la Seconde Guerre mondiale s’est modifiée au cours des soixante-dix dernières années. On peut tenter de distinguer trois périodes.
- L’OUBLI et la GLORIFICATION DE LA RESISTANCE (1945-1970)
Juste après la guerre les Français ont voulu OUBLIER les horreurs et les souffrances et se serrer les coudes pour reconstruire le pays :
La population a très vite voulu oublier les drames humains de l’épuration, période épouvantable de règlements de compte individuels qui a fait près de 10 000 victimes (dont plus de 8 000, exécutées sommairement).
Des procès ont été organisés juste après la Libération pour juger certains « collabos ». On parle « d’épuration légale » après cette période de règlements de comptes marquée par les exécutions sommaires et qualifiée « d’épuration sauvage ». Ces procès sont souvent expéditifs et partisans. Ils ne sont pas à la hauteur de ce qu’on peut attendre dans un pays démocratique mais le climat de cet immédiat après-guerre est encore très passionnel.
Le nouveau gouvernement : le GPRF –Gouvernement Provisoire de la République Française- de de Gaulle a cherché à accréditer l’idée que le régime de Vichy n’avait été qu’une parenthèse refermée, que la France avait été unanimement résistante. Il a ainsi glorifié la libération de Paris, en partie obtenue grâce aux FFI (Forces Françaises de l’Intérieur).
On parle de mythe du « résistancialisme » pour qualifier cette manière de mettre l’unité de la Résistance en avant (le terme a été créé en 1987 par un historien, Henri Rousso).
Le Parti Communiste cherche également à valoriser son action dans la Résistance en se présentant comme le parti des « 75 000 fusillés » (en réalité il semble n’y en avoir eu que 25 000). Il est en tout cas le premier parti de France aux élections d’octobre 1945.
Dans les semaines et les mois qui suivent la fin de la guerre rentrent les prisonniers de guerre (près d’un million), les requis du STO (Service du Travail Obligatoire) (plus de 700000) auxquels s’ajoutent des volontaires (qui ont accepté de travailler en Allemagne). Les Alsaciens-Mosellans qui avaient été enrôlés de force dans la Wehrmacht (ils étaient 130 000 qu’on a appelé les « Malgré nous », dont 40 000 sont morts au combat ou dans les camps de prisonniers soviétiques) et se trouvaient dans des camps de prisonniers allemands en Union Soviétique rentrent plus tardivement.
Les 150 000 rescapés des camps de concentration se retrouvent déphasés, perdus, incapables de raconter ce qu’ils ont vécu. On a peu de récits de survivants datant de cette époque : personne ne veut entendre leur récit. Parmi eux seuls 2 500 sont des Juifs qui ont connu le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau évacué en janvier 1945 et qui ont terminé la guerre dans d’autres camps.
Des lois d’amnisties sont votées (1951 et 1953) permettant d’abandonner toute poursuite contre des « collabos »
En 1964 les cendres de Jean Moulin sont transférées au Panthéon. Ancien préfet de l’Eure, destitué par les Allemands en 1940, parti à Londres rejoindre le général de Gaulle, il est parachuté en France afin d’unifier les réseaux de résistance et de préparer l’après-guerre ; torturé puis assassiné en 1943 à Lyon par le chef de la Gestapo -Klaus Barbie-, il est la personnalité qui incarne le mieux la Résistance française.

Le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964
Sur cette période pour comprendre la tonalité des discours officiels, voici deux documents sonores :
Le discours de de Gaulle à Paris le 25 août 1944
« Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière : c’est-à-dire de la France qui se bat. C’est-à-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.«
discours de Gaulle Paris 25 août 1944
Le discours de Malraux (Ministre de la Culture de de Gaulle) en 1964 au Panthéon
« Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi — et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit… »
texte intégral du discours de Malraux pour le transfert des cendres de Jean Moulin
et extrait film INA sur ce même discours
Pendant cette 1ère période qui dure jusqu’aux années 1970 la filmographie fait la part belle aux films sur la Résistance (La Bataille du Rail -de René Clément, prix du jury du Festival de Cannes en 1946 ; Paris, brûle-t-il ? de René Clément, 1966), sur la vie quotidienne pendant l’occupation allemande : La traversée de Paris de Claude Auntant-Lara, 1956, voire une franche comédie avec Bourvil et De Funès comme La Grande vadrouille de Gérard Oury (un film qui a un succès énorme à sa sortie en 1966 et après faisant 17 millions d’entrées –c’est aussi le 1er film sur la Seconde Guerre Mondiale diffusé en Allemagne-)
2. LE MALAISE et LA CONFRONTATION AVEC LES FAITS (1970-1995)
A partir des années 1970 les Français découvrent avec malaise ce qu’a été véritablement le régime de Vichy dirigé par le Maréchal Pétain grâce notamment au film de Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié (1969).

Affiche du film de Marcel Ophuls, le Chagrin et la pitié : chroniques de Clermont-Ferrand sous sous l’occupation, documentaire sortir en 1969 (oscar du meilleur film étranger en 1970)
Il s’agit d’un film documentaire composé d’images d’archives et de témoignages qui apporte de nombreuses informations sur la vie de Français ordinaires à Clermont-Ferrand, évoquant la passivité, les petites lâchetés du quotidien, l’ambiguïté du régime de Pétain.
L’ORTF (l’Office de Radio Télévision Française qui offre à l’époque une seule chaîne de télévision qui est publique) refuse de diffuser le film qui sera juste projeté au cinéma et ne sera montré à la télé qu’en 1981.
Peu de temps après l’ouvrage d’un historien américain Robert Paxton La France de Vichy 1940-1944 (paru en 1972) est le premier à mettre en lumière les agissements du régime de Pétain. Paxton y démontre que contrairement à une idée répandue le régime du maréchal Pétain n’a pas rendu l’occupation moins dure pour les Français. Il montre aussi que le régime de Vichy a anticipé les exigences des nazis en matière d’antisémitisme et de déportation des Juifs de France.

L’ouvrage de l’historien américain Robert Paxton, paru en 1972
Il apparaît désormais clairement que le régime Vichy a pris l’initiative d’une collaboration d’État avec l’Allemagne et a une part de responsabilité particulièrement lourde dans la déportation des Juifs sur le territoire français.
Cette prise de conscience explique pendant cette période l’organisation de plusieurs procès à l’encontre de dirigeants nazis à l’instar de celui d’Eichmann que l’État d’Israël avait organisé et filmé en 1961 à Jérusalem.
Le chef d’inculpation est « crime contre l’humanité », notion juridique qui a été créée lors du Procès de Nuremberg en 1945 et qui a été voulue « imprescriptible » (ce qui signifie que les poursuites ne s’arrêtent qu’à la mort de la personne mise en cause et non au bout de 30 ans comme c’est le cas pour les autres crimes en droit pénal)
Klaus Barbie capitaine SS, chef de la Gestapo à Lyon est extradé de Bolivie en 1983, est jugé en 1987 et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il meurt en prison en 1991 à 77 ans.
Des fonctionnaires français impliqués dans des crimes contre l’humanité sont également mis en cause :
- Paul Touvier est jugé en 1994 (il avait déjà été condamné à mort par deux fois, puis gracié en 1971) ; ancien chef de la Milice à Lyon, il est condamné à la perpétuité. Il meurt en prison en 1996 à 81 ans.
- Maurice Papon est jugéen 1997-98 : secrétaire général du département de la Gironde pendant la guerre, accusé d’avoir supervisé la déportation de 1700 Juifs. Il est condamné à 10 ans de réclusion criminelle. Libéré en 2002 pour raisons médicales, il meurt en 2007 à 96 ans.
- (Un autre, René Bousquet, profitant de protections et d’amitiés politiques, ne sera jamais jugé son procès étant reporté plusieurs fois mais il est assassiné en 1993).
Ces grands procès qui ont duré plusieurs mois et fait appel à de nombreux témoignages ont permis, au delà des cas individuels, de réfléchir sur ce qu’avait été cette sinistre période.
3. LA RECONNAISSANCE D’UNE RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE, LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA SHOAH ET LA DIVERSITÉ des MÉMOIRES (depuis 1995)
Le terme de « Shoah » est le terme hébreu (qui signifie catastrophe) par lequel on désigne en France le génocide des Juifs par les nazis entre 1941 et 1945. En anglais on parle plutôt « d’holocauste » (terme d’origine religieuse). Dans nos programmes officiels on utilise le terme « génocide des Juifs »
C’est seulement dans les années 1990 que le régime actuel va reconnaître les responsabilités de la France pendant la Seconde Guerre mondiale et notamment dans la déportation des Juifs de France : en 1995 le Président Chirac, commémorant la rafle du Vel’d’hiv du 16 juillet 1942, (la 1ère et la plus spectaculaire des opérations de la police de Vichy visant à arrêter les Juifs) a admis la complicité avec l’occupant de « Français » et de « l’État français » prononce un discours dont la portée symbolique est importante.

Jacques Chirac le 16 juillet 1995 à l’emplacement de l’ancien Vélodrome d’Hiver (Paris XVe)
Sa démarche a pu être critiquée et perçue une sorte de « repentance » imposée par un « lobby juif ». Personnellement je considère que cette démarche politique est raisonnable et saine. Jacques Chirac est le premier Président qui pouvait l’accomplir car il appartient à une génération (née en 1932) qui était enfant pendant la Seconde Guerre mondiale et parce que le temps est venu pour les Français de 1995 d’affronter la réalité en face (ce n’était pas possible, avant les esprits n’étaient pas mûrs et les connaissances des historiens pas suffisamment précises, notamment sur la Shoah).
Ce n’est pas en niant l’existence de faits qui se sont réellement passés, en les travestissant pour les rendre plus présentables qu’on peut construire son avenir, c’est vrai au niveau personnel et c’est également vrai au niveau collectif d’une nation.
discours Chirac Vel d’Hiv 1995
« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays. (…) Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. (…)
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. (…) La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »
Depuis lors, les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale se sont diversifiées en fonction de l’action des associations et des recherches effectuées par les historiens à partir d’archives et de témoignages et qui mettent en lumière de nouveaux pans jusque là oubliés (ex. mémoire des Tsiganes internés en France pendant la guerre dans des camps comme celui de Montreuil-Bellay en Maine-et-Loire ; mémoire des « Justes », ces anonymes qui ont sauvé des Juifs persécutés…).
Un passé qui ne passe pas ?
En 2016 la journée du 8 mai qui commémore la fin de la Seconde Guerre mondiale a donné certes lieu à des commémorations officielles à Paris et en Province mais elles ont été relativement peu suivies. Le 4e dimanche d’avril qui est la journée Nationale de la Déportation reste commémoré seulement par les quelques déportés survivants et leurs proches.
Mais, les épisodes les plus traumatiques de la Seconde Guerre mondiale qui ont laissé des traces localement continuent à être commémorés chaque année avec émotion et recueillement : les massacres de civils (Oradour/Glane, pendus de Tulle…), la fin des Maquis (Glières, Vercors…), les lieux d’exécutions massives de résistants (Mont Valérien, camp de Souges près de Bordeaux…), les combats les plus acharnés (par exemple en Normandie quand, en certains secteurs, les troupes anglo-américaines sont restées figées dans le bocage pendant plus d’un mois sans parvenir à prendre Caen), les bombardements (Normandie, Royan…) et la Shoah (cérémonie le 16 juillet dans une quarantaine de villes de France)
Non au « devoir de mémoire », oui au « devoir d’histoire ».
Parallèlement à cette évolution des mémoires, le terme de « devoir de mémoire » est apparu dans le langage des journalistes avec l’idée d’une obligation morale qui nous incomberait de nous recueillir en hommage à ces morts. Personnellement cette expression m’exaspère : dans une démocratie personne n’a à nous intimer ce qu’on doit penser ou ressentir.
Par contre nous avons, en tant que citoyens d’un État démocratique, un « devoir d’histoire » : celui de connaître les faits et leur enchaînement notamment au cours des périodes les plus sombres de notre histoire (les Guerres de religion du XVI e siècle, les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie).
Être vigilant comme des pompiers !
La connaissance précise de ces épisodes traumatiques de notre histoire ne peut que nous rendre vigilants concernant notre vie d’aujourd’hui surtout si on en fait la métaphore de la lutte que les pompiers doivent mener contre un feu.
Actuellement une parole qui, au départ, n’était peut-être que maladroite est comme une étincelle ou un mégot mal éteint. Si elle est renvoyée en boucle sur les réseaux sociaux au lieu de tomber sur du vide et de s’éteindre c’est comme si elle était transportée au loin par un violent mistral. Pour peu que la garrigue soit sèche et c’est l’embrasement (les médias polémiquent en boucle pendant des semaines). La métaphore s’arrête là car heureusement, dans notre pays, un feu de forêt d’origine accidentelle ne peut entièrement ravager notre territoire…
N’allumons pas de feux par bêtise surtout en période de sécheresse (en cette période d’inquiétude où certains esprits sont surchauffés) ; n’attendons pas les pompiers pour intervenir sur un feu naissant alors qu’il n’est pas bien menaçant : éteignons-le nous-mêmes sans en faire tout un fromage médiatique (ne diffusons pas sur les réseaux nos différents interpersonnels ) ; un feu dormant est long à éteindre mais l’espoir est permis car on fait encore tout pour l’étouffer même si cela peut durer des années (la haine est déjà bien installée dans certains milieux, on le sait cela n’empêche pas de continuer à diffuser d’autres valeurs plus positives pour réduire le pouvoir de nuisance de cette haine).
Par contre une fois l’embrasement déclenché on ne sait pas jusqu’où le feu pourra aller, les dégâts seront immenses et durables.
Peu de gens de ma génération (celle qui est née après la fin de la colonisation et n’a donc pas connu de guerre) et de celles d’après en sont je pense suffisamment conscients.
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