Premièrement il est bon de préciser (ou de rappeler) que notre arrière-plan d’Occidentaux ne nous a pas habitués à imaginer que les animaux pouvaient avoir une intelligence et une culture, c’est-à-dire l’aptitude à transmettre quelque chose à leurs petits.

A gauche Kinji Inanishi (1902-1992), le Japonais précurseur des études en primatologie, lors de son premier séjour en Afrique, ici à Stanley au Congo belge en 1958 (aujourd’hui Kisangani en RDC) en compagnie à l’un chercheur belge de l’institut de recherche sur les virus
Nous avons longtemps considéré que ce qui distinguait les hommes des animaux c’est que, chez les derniers, le comportement relevait totalement de l’inné donc des instincts. A l’inverse, une partie de nos comportements humains étaient liés à une culture qui nous était transmises par des parents et de maîtres et, plus tard, par des livres..
Effectivement la culture judéo-chrétienne qui est notre arrière-plan mental (même si les Occidentaux du XXI e siècle ne s’en rendent même plus toujours compte) nous présente les choses d’une manière simple : le 6e jour de la Création, Dieu donne à l’homme tout pouvoir sur les animaux qu’il a créés le 5e. Il y a donc une coupure majeure (« ontologique » pourrait-on dire de manière plus compliquée en cours de philosophie) entre l’homme et l’animal.
Or on s’aperçoit que dans d’autres sociétés animistes où l’on a notamment parfois des « totems » animaux, il existe une sorte de porosité entre l’humain et l’animal… avec éventuellement de possibles réincarnations, le fait que certains animaux sont divinisés ou qu’on trouve des êtres hybrides.
Précisons qu’on qualifie de « totem » un animal (ou un végétal) considéré comme l’ancêtre mythique et le protecteur d’un clan envers lequel un groupe humain a des devoirs particuliers. C’est une notion qu’on retrouve dans les sociétés du Pacifique insulaire (Mélanésie, Micronésie, Polynésie) mais aussi chez les Amérindiens.

Homme-cagou : une des sculptures (contemporaines) de plein-air au Centre culturel Jean-Marie Tjibaou (Nouvelle-Calédonie)
On comprend donc aisément que les missionnaires qui ont cherché au XIXe siècle à christianiser ces populations leur aient demandé de brûler ces totems ou à défaut de leur rapporter. Voilà pourquoi aujourd’hui on en trouve dans nos musées en Europe et en vente sur Internet !
Descartes et l’animal-machine
Pire, les philosophes occidentaux ne semblent pas avoir observé les animaux (à l’inverse par exemple des paysans ou des éleveurs qui vivaient à leur contact et connaissaient parfaitement les comportements des animaux domestiques et de certains animaux sauvages. On peut dire également la même chose sur nos philosophes d’autrefois qui ne connaissaient pas grand-chose aux enfants puisqu’ils n’avaient jamais observé le comportement des nourrissons et des petits enfants. !
En matière de comportement des animaux, le plus catastrophique de nos philosophes est peut-être René Descartes avec sa conception de l’animal-machine : pour lui l’animal n’a pas de pensées, il réagit automatiquement à des stimulis. Mais tous les philosophes de son époque ne voyaient pas les choses ainsi.
Heureusement le reste de la philosophie de Descartes est plus convaincant. Il est l’origine de l’adjectif « cartésien » qui signifie une démarche fondée sur la raison et non la croyance qu’il explique dans son Discours de la méthode (1637).
Kinji Imanishi et les macaques qui lavent les patates douces
Mais revenons à nos comportements animaux et à la notion de cultures animales.
« Kaluchua » est un néologisme qui a été formé en 1952 par le biologiste et anthropologue japonais Kinji Imanishi (1902-1992) à partir de la prononciation japonaise du mot anglais « culture ». Par ce terme il veut désigner la transmission d’un savoir chez les animaux qui passe par la découverte et l’apprentissage, soit une forme de culture animale.
Ceci résulte de l’observation par son équipe d’une troupe de macaques de la presqu’île de Koshima nourrie par les chercheurs qui leur lançaient des patates douces dans le sable. Progressivement certains macaques se mirent à rincer leurs patates avant de les manger, puis transmirent cette nouvelle pratique à leur descendance au point qu’au bout de quelques années tout le groupe lavait ses tubercules avant de les manger.
J’avais vaguement entendu parler de cette anecdote jusqu’à ce que la lecture d’un petit ouvrage fasse avancer ma réflexion sur ce thème : Kaluchua de Michel de Pracontal, un journaliste scientifique. Il n’y évoque pas seulement les primates mais également d’autres sociétés animales.

Kaluchua de Michel de Pracontal, un ouvrage paru chez Seuil en 2010
Des études en primatologie qui ont beaucoup progressé
Aujourd’hui les éthologues du monde entier et notamment les primatologues étudient les sociétés animales avec un regard renouvelé. Nous en parlerons plus en détail dans un autre article.
Le « Japon Monkey Centre » est à la fois un musée et un zoo : il se trouve à Aïchi près de Nagoya et a été créé en 1956 pour permettre de continuer les recherches entreprises par l’équipe de Kinji Imanishi sur les primates.

Le Japan Monkey Park, à la fois zoo et centre de recherches sur les primates depuis 1956
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