Moscou-Erevan-Tbilissi 1984

Dans ce nouvel article, j’ai eu envie de me replonger dans le court séjour que j’ai effectué en URSS en 1984 (évidemment en voyage organisé puisqu’à l’époque il n’était pas question de voyager autrement). J’avais 21 ans , j’étais déjà géographe et je rentrais d’un séjour de 4 mois au Sénégal où j’avais enquêté à Pikine (voir l’article Pikine mon premier terrain de géographe)

Pourquoi l’URSS ?

Je dois dire que ce pays excitait ma curiosité depuis l’adolescence. J’avais été emballée alors que j’étais en Troisième par la visite d’un navire de guerre soviétique venu en escale au port de Cherbourg que nous avions pu visiter. Un marin m’avait offert un pin’s à l’effigie de Lénine et une photo de son bateau ! Puis un grand gala de chants et de danses avait été donné dans le théâtre municipal et le public cherbourgeois avait fait une ovation à ces militaires !

Une véritable opération de séduction qui montre à quel point la propagande de ce type fonctionne toujours auprès des jeunes car, à cette époque (1976), les sources d’information directes sur l’URSS étaient limitées dans une petite ville de province française.

Kremlin

Place rouge, Kremlin et  mausolée de Lénine : le cliché de Moscou à l’époque soviétique !

L’année suivante j’avais acheté la méthode Assimil de russe mais n’avait pas beaucoup progressé (faute des cassettes qui allaient avec…) mais au moins je savais déchiffrer l’alphabet cyrillique. Et puis, à l’époque, les programmes scolaires de Troisième et de Terminale faisaient la part belle à la Révolution russe, à la collectivisation soviétique et à la géographie de l’URSS !

À cet âge je pense que j’avais une certaine sympathie pour cette expérience radicale dont je sous-estimais totalement les aspects les plus sanglants et  les plus horribles… À vrai dire j’étais surtout impressionnée par tous les grands chantiers qui avaient été menés (barrages, hauts-fourneaux, usines, ponts, voies ferrées). Je devais encore faire mienne cette phrase de Lénine : « Le communisme c’est l’électricité et les Soviets. »

J’avais aussi une profonde admiration pour le cosmonaute Youri Gagarine qui était venu dans ma ville natale (Le Havre, la communiste) et dont la fille Clémentine était née le même jour que ma sœur cadette !

A quoi tiennent donc nos engouements de jeunesse ?

L’URSS en 1980 : tentative avortée !

Je ne manquais pas de suite dans les idées puisqu’à la fin de l’année de Terminale j’ai été distinguée par le Recteur de mon académie par le « Prix de l’Éducation » (à cette époque il était décerné par académie à un élève de Terminale qui s’était illustré par ses résultats scolaires et sportifs et se traduisait par une bourse de 3000 F pour effectuer un voyage… puis en faire le compte-rendu).

Aujourd’hui ce prix existe toujours mais en plus l’heureux lauréat doit avoir montré qu’il s’est impliqué aussi dans la vie du lycée ou dans une association… je ne l’aurais donc pas obtenu s’il avait fallu à 17 ans être déjà performante sur ce plan. À cet âge-là j’avais juste été capable d’obtenir mon Bac C avec mention « très-bien » (ce qui n’était pas facile) et de gagner les championnats d’académie UNSS de fleuret féminin junior -ce qui n’était pas un grand exploit sportif, vu le peu d’engouement en province pour ce sport avant l’arrivée de la génération de Laura Flessel qui a tout changé !

Bien évidemment pour moi la première idée était de partir en voyage organisé en URSS et je me suis inscrite sur l’un des seuls voyages qui avaient été programmés pour l’été par Nouvelles Frontières. Sauf que le contexte géopolitique n’était pas favorable : les Soviétiques avaient envahi l’Afghanistan en décembre 1979. Par mesure de rétorsion les Américains avaient annoncé qu’ils boycotteraient les Jeux Olympiques. Ce voyage organisé a donc été annulé mais j’ai gardé au fond de moi l’idée qu’un jour j’irais en URSS !

L’URSS en 1984 : essai transformé !

L’occasion s’est présentée quatre ans plus tard. À cette époque j’étais étudiante à Paris et je terminais ma Maîtrise de Géographie sur le Sénégal, une étudiante aisée puisque j’avais le grand privilège d’être élève de l’École Normale Supérieure de Jeunes Filles et, à ce titre, logée dans Paris pour un tarif dérisoire (certes dans une chambre de 12m² avec lavabo en 110 volts et dans un internat féminin…) et payée comme élève-fonctionnaire-stagiaire à faire mes études (avec un engagement de 10 ans de services pour L’État -). J’ai trouvé  rue des Écoles en face de la Sorbonne une toute petite agence de voyage qui proposait un séjour en URSS 10 jours Moscou-Erevan-Tbilissi pour un tarif très avantageux : 2400 F de l’époque. À ce tarif, mes parents ont offert le voyage à ma sœur cadette qui avait 16 ans et nous nous sommes embarquées dans cette aventure en juillet 1984.

La veille du départ, un des mes oncles m’avait dit que je partais avec l’agence de voyage des Jeunesses Communistes et j’avais pris l’information sans y croire : mon agence ne s’appelait que « LVJ » « Loisirs et Voyages pour la Jeunesse« … Je n’y avais rien vu de communiste….

Or effectivement le catalogue de LVJ ciblait l’URSS et les démocraties populaires dans ses séjours de vacances et, dès l’enregistrement à l’aéroport, nous avons compris que notre groupe serait un peu particulier  ! Comme responsable du groupe un ouvrier communiste venant de l’usine Citroën de Rennes, 5 autres membres du PCF (de jeunes adultes), une demi-douzaine de Jeunes Communistes et une autre douzaine de gens comme moi (plutôt jeunes) qui avaient trouvé les prix attractifs.

Je dois dire qu’à l’époque voyager en avion était encore pour moi quelque chose d’exceptionnel (ce n’était que la 2e fois de ma vie que je prenais l’avion après mon séjour l’hiver précédent au Sénégal) et que les passagers des vols internationaux d’Aéroflot étaient particulièrement bien traités. On a peut-être du mal à comprendre cela aujourd’hui où les vols low cost se sont multipliés et où l’on est traité avec beaucoup de brusquerie dans les aéroports (délais d’enregistrements considérables, horaires pourris, suspicion généralisée lors des contrôles de police et de douane…) ce qui rend ce mode de transport de moins en moins attractif qu’il y a une génération…

Bref, quand nous sommes arrivés à l’aéroport international de Cheremetievo en fin d’après-midi et que nous avons fait connaissance avec notre charmante guide soviétique, Svetlana, nous étions dans un état d’esprit très favorable. L’impression d’arriver dans un pays inconnu où nous étions les bienvenus.

J’insiste : ce n’est plus souvent le cas quand l’on fait du tourisme aujourd’hui. Dans la plupart des cas les touristes sont perçus comme des vaches à lait à plumer quand ils débarquent dans le Tiers Monde et comme des nuisances dans les destinations touristiques plus aisées où ils sont très nombreux (voilà pourquoi encourager le développement du tourisme comme moyen de dynamiser un territoire me semble une idée des plus absurdes et il serait urgent d’inventer d’autres activités plus raisonnables !)

En tout cas en 1984, un petit groupe de Français… considéré comme une délégation de la jeunesse communiste de France était très bien accueilli en URSS ! Nous avons aussitôt été transportés en car jusqu’à une grande tour de la périphérie de Moscou où se trouvait un hôtel pour Komsomols. Précisons que les « Komsomols » sont le nom donné aux jeunesses communistes, les plus jeunes avec leurs petits foulards rouges s’appellent des « Pionniers » !

À l’époque je n’avais mis les pieds qu’une seule fois dans un hôtel en France (à Fréjus pour les championnats de France de fleuret l’année précédente) et un hôtel à New York (pour le voyage d’étude des étudiants de Licence de Géographie de Paris IV), je n’avais aucune idée du standing attendu dans ce type d’établissement (par contre j’avais expérimenté plusieurs dizaines de campings à travers l’Europe de part à et d’autre du rideau de fer). Bref cet hôtel m’a semblé très confortable !

Dès le premier soir nous avons pris le bus pour aller au terminus du métro et ensuite jusqu’à la place Rouge en groupe. Les jours suivants nous y sommes retournés seuls et sans chaperon. À mon retour d’URSS, l’étudiante américaine qui était hébergée dans notre internat n’a jamais voulu le croire : elle était absolument persuadée que nous avions été suivis et encadrés par le KGB pendant tout notre séjour…

Moscou en 1984

Moscou à l’époque donnait l’impression d’une ville très aérée, avec très peu de circulation -surtout des bus et des camions, peu de voitures individuelles. Ce qui nous frappait en ce mois de juillet où les jours étaient très longs c’est que les chantiers travaillaient jusque très tard et qu’on avait l’impression que toute cette périphérie de la ville était en chantier.

L’autre découverte a été le très faible nombre de magasins et le peu de choses qu’on y trouvait. Rien à acheter sauf des glaces. Aucun souvenir même au « Goum » où, à part quelques matriochkas et autres foulards, rien n’était au goût des touristes exigeants que nous étions. Ce qui nous amusait c’est que les commerçants utilisaient tous un boulier pour faire leurs additions et qu’il n’y avait nulle part de calculette (je rappelle toutefois qu’à cette époque en France, les calculettes étaient encore peu répandues : c’était ma génération, celle qui avait passé le Bac en 1980 qui pour la première fois avait eu le droit d’utiliser la calculette pour l’épreuve de Maths et de Physique-Chimie du Bac C et de reléguer la règle à calcul à la maison !)

Nous avons eu droit à Moscou aux visites classiques pour touristes à savoir le Kremlin et ses nombreuses églises à bulbe doré, la place rouge et le mausolée de Lénine. Nous avons fait la queue comme tout le monde pour aller voir la dépouille du révolutionnaire mais aussi un tour à l’Université Lomonossov là haut sur sa colline et son bâtiment stalinienne et des places au Bolchoï.

Là encore jamais je n’avais eu le privilège à Paris d’assister à un opéra à l’Opéra Garnier… La seule fois de ma vie où j’avais eu la chance d’aller à l’opéra c’était à New York, au Metropolitan, grâce au formidable professeur de Géographie urbaine qui avait organisé l’année précédente un voyage d’étude d’une semaine pour les étudiants de Licence de Géographie et nous avait trouvé des places pour Parsifal de Wagner. Nous n’avions pas vu grand chose (nous étions tellement loin et haut par rapport à la scène) ni entendu grand-chose (le décalage horaire nous avait tous tués)… mais quelle expérience de rentrer ensuite de nuit en contournant Central Park…

Ici les places n’étaient pas cher (en tout cas c’était ce que le régime expliquait)… La difficulté était que nos billets portaient la mention « Don Carlos » (pas trop difficile à déchiffrer en cyrillique) mais le programme de correspondait pas et j’ai bien mis deux actes à comprendre de quoi il s’agissait véritablement : « Cio-cio-can » se traduit « Madame Butterfly » en français. Cet opéra de Puccini qui date de 1904 raconte le drame d’un Japonaise qui épouse un Américain lequel l’abandonne. 2 h 30 en russe, c’était long !

Parmi les plus curieuses visites voici celle-ci : l’exposition des réalisations de l’économie nationale, un immense parc à la périphérie de la ville :

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Erevan en 1984

Le vol Moscou-Erevan nous a propulsé dans un autre univers. Déjà la découverte que l’aéroport des lignes intérieures (Domededovo) n’avait pas du tout la classe internationale de celui de Cheremetievo (construit pour les JO de 1980) et que la population qu’on y croisait ressemblait un peu à celle qu’on croisait dans nos gares des années 1950, des gens modestes qui prennent l’avion parce que le coût est peu élevé et que dans un pays aussi vaste que l’URSS on ne peut se déplacer qu’en train ou en avion sur de longues distances.

région du Caucase.PNG

Une petite carte de repérage sur le Caucase tel qu’il est aujourd’hui depuis la fin de l’URSS avec 3 nouveaux Etats indépendants : Géogie, Arménie et Azerbaïdjan

La chaleur nous attendait à Erevan rendant peu visible le fameux Mont Ararat où se serait échouée l’arche de Noé après le déluge. La découverte d’une ville beaucoup moins bien entretenue que Moscou, me donnait l’impression que nous étions dans le Tiers Monde.

Erevan et le Mont Ararat.JPG

Vue générale d’Erevan avec à l’arrière-plan le Mont Ararat (5165 m) qui marque la frontière avec la Turquie et l’Iran

Au pied de l’hôtel Komsomol dominant la ville, on trouvait des bidonvilles. Et derrière les très belles façades des bâtiments du centre-ville on entrapercevait des petites ruelles et des taudis. Ne parlons pas de l’état pitoyable du bus qui nous transportait (pneus, boite de vitesse…).

Les excursions ont été très agréables en Arménie : une au lac Sevan, une dans la petite capitale religieuse d’Etchmiazine (car les Arméniens sont chrétiens mais ont une église « autocéphale »  dirigée par un « catholikos ») et à Tvarnots. Pour nous c’était des lieux totalement inconnus qui aujourd’hui sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000 car ils témoignent de l’ancienneté et de l’originalité des édifices chrétiens en Arménie avec un plan en croix grecque et des coupoles (IVe siècle pour la cathédrale d’Etchmiazine).

cathédrale d'echmiazin

cathédrale d’Etchmiadzin

Tbilissi

Notre séjour s’est terminé à Tbilissi en Géorgie que nous avons rejoints en prenant un train de nuit qui nous a fait traverser le Caucase.

Nous étions logés dans un centre de vacances pour Komsomols au bord d’un lac où l’on pouvait se baigner, traités comme les Soviétiques en vacances, c’est-à-dire de manière un peu spartiate sur le plan du confort et du standing… bref nous étions en colonie de vacances.

La ville était pittoresque avec un musée aux collections magnifiques sur les Scythes, peuple dont je n’avais pas réellement entendu parler auparavant (mais d’une muséographie assez pitoyable) J’ignore ce que c’est qu’il devenu aujourd’hui) donc j’ai cherché et suis tombé sur le site officiel du Georgian National Museum : c’est superbe (c’est le cas aujourd’hui presque partout dans le monde, là où on a eu l’argent pour mettre à niveau ces grands musées).

Nous avons été reçus dans un camp de pionniers et assisté à un remarquable spectacle de chants et danses traditionnelles  géorgiennes. En remerciement il fallait leur chanter un petit truc… le responsable du groupe a donc entonné l’Internationale repris en chœur par tout le monde !…

Quel bilan pour ce séjour ?

À notre retour à Moscou par un vol intérieur très déglingué, nous avons passé une dernière soirée de débriefing avec notre guide Svetlana et tout le groupe. J’étais globalement très contente de ce séjour un peu spartiate (la nourriture n’était vraiment pas terrible), mes petits camarades communistes étaient déçus. Voilà ce que j’écrivais le dernier jour dans mon journal de voyage :

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La déception amoureuse d’un aide-jardinier communiste !

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L’incompréhension d’une géographe après un voyage organisé de 15 jours (suite à un séjour désorganisé de 4 mois au Sénégal)

Pour conclure. Nous nous étions donnés rendez-vous… non pas dans dix ans place des grands hommes… mais à la « Fête de l’Huma » à La Courneuve mi septembre. J’y étais et j’ai retrouvé avec plaisir quelques camarades de voyage !

Tout cela est très loin et en même temps jamais je n’ai eu l’occasion de retourner en Russie, ni d’ailleurs en Arménie ou en Géorgie après l’effondrement du communiste. J’avoue que cela me tenterait… à condition de ne pas être un touriste et d’y aller dans un autre cadre  (échange scolaire, association culturelle). Mais la barrière linguistique demeure un vrai frein pour des échanges plus intéressants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4 réflexions sur “Moscou-Erevan-Tbilissi 1984

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