Aujourd’hui plus de 18 % de nos compatriotes donnent des prénoms « musulmans » à leurs enfants (affirme la presse), ce qui est perçu par certains comme une forme d’archaïsme voire de refus à s’intégrer. Mais, ces dernières années, des combinaisons de lettres qui sonnent bien à l’oral sans aucun arrière-plan culturel (ni linguistique, ni religieux, ni familial) se sont également multipliées (depuis qu’une loi en 1993 nous a donné la liberté d’attribuer n’importe quel prénom à nos enfants), ce que personne ne semble trouver à la fois ni bizarre ni même problématique pour l’avenir de ces enfants.
Parallèlement les prénoms chrétiens ont beaucoup régressé (voir l’article sur Jésus et ses 12 disciples où l’on évoque l’origine des prénoms comme Jean, Pierre, Paul, Jacques et leurs variantes dans les autres langues européennes).
D’où cette question dérangeante : et si ce sentiment qu’il y a de plus en plus de gens bizarres était simplement lié à notre inculture ?

Quelques exemples de prénoms tirés de la tradition musulmane
J’ai découvert cette question en faisant l’appel dans mes classes depuis plus de 35 ans dans divers endroits de la planète et, à vrai dire, ce ne sont pas les prénoms « musulmans » qui me déroutent le plus désormais mais bien ces combinaisons à 4 lettres (avec parfois des lettres muettes) : les Lila ou Elia ou Elya ou Ilyah… Cali, Lena, Luna (Louna).. (qui est par exemple actuellement le pseudonyme de 3 chanteuses -une bulgare, une ukrainienne et une sud-coréenne- et celui de 3 élèves d’une de mes classes de Première Littéraire ! Un prénom à la mode semble-t-il que je n’avais pourtant jamais rencontré auparavant…
D’où l’idée ici d’expliquer que si l’on veut faire la différence entre « Issa » qui est un prénom culturellement ancré puisque c’est quand même la transcription de Jésus dans le monde musulman (ce n’est pas anodin) et « Luna » qui se réfère vaguement à la lune ou « Ilia » qui ne veut vraiment rien dire du tout… il serait nécessaire que nous ayons quelques repères sur l’islam (dont les prénoms sont faciles à comprendre et mémoriser) et sur la langue arabe plutôt de croire qu’il y a de plus en plus de gens « bizarres » parmi nous !
Dans un précédent article j’ai expliqué pourquoi la langue arabe, parce qu’elle ne transcrivait pas les voyelles brèves et présentait des sons qui n’existent pas en français entrainait des transcriptions en alphabet latin qui ne sont pas forcément fixées orthographiquement (Mohamed, Muhamad, Mohammed). Mais finalement certains prénoms chrétiens classiques ne le sont pas davantage (Mathieu ou Matthieu ?)
Quels sont les différents prénoms du monde musulman, leur signification et leur(s) transcription(s) ?
Est-il trop difficile d’apprendre que, pour les garçons dans un certain nombre de familles maghrébines on utilise notamment les prénoms des premiers califes de l’islam au VIIe siècle…
Rappelons que nos rois de France (notamment des Louis (cela va jusqu’à XVIII) et des Charles (jusqu’à X) tirent leur prénoms de rois chrétiens : Clovis qui donc donné Louis par déformation (premier roi des Francs à être baptisé en 496, 505 ou 507 à Reims) et Charles (de Carolus Magnus, l’Empereur Charlemagne couronné à Aix-la-Chapelle par le Pape en l’an 800). Louis comme Charles demeurent des prénoms encore assez fréquents toutes générations confondues, mais aujourd’hui plutôt donnés par des milieux un peu aisés et conservateurs.
D’où mon petit tableau qui distingue les références des prénoms utilisés : tirés de l’Ancien Testament (notamment Abraham, Isaac, Moïse), du christianisme (Jésus, Joseph et Marie), des débuts de l’islam (Mahomet, ses compagnons, ses femmes -Khadija et Aïcha, son gendre -Ali- et sa fille -Fatima-Zohra).
L’islam ne s’est pas répandu sur un vide culturel (même si l’Arabie est désertique avec quelques oasis comme La Mecque ou Yathrib) mais sur une terre de passage sur laquelle il existait une imprégnation judéo-chrétienne en plus du paganisme.
Mais tout cela ne fait pas beaucoup de choix pour les filles donc certains prénoms féminins courants dans les pays arabes font référence souvent à des tempéraments (Nour, la lumière ; Leïla la nuit). J’ai insisté sur l’idée de prénoms « arabes » car dans le reste du monde musulman (dans le monde turc, iranien, d’Afrique subsaharienne, du monde malais, il y a d’autres références pour donner des prénoms que les premiers musulmans arabes du VII e siècle !)
Maintenant allons regarder si vraiment nos compatriotes musulmans sont si conservateurs. Je suis allée sur un site qui propose des idées de prénoms aux futurs parents et voilà le début de la liste qui est proposée comme prénoms « arabes » !

Tiré du Journal des Femmes
Sur ces 20 propositions, je ne retrouve que Mohamed (n°1), Ibrahim (n°6), Youssef (n°15) Ali (n°18) parmi les prénoms que j’avais retenus comme culturellement rattachés facilement à la tradition musulmane des débuts. Côte fille il n’y a qu’Aïcha (n°13) et Maryam (N°14).
Ce qui est le plus frappant dans cette liste c’est l’existence de prénoms que ce magazine présente comme « arabes » mais qui correspondent précisément à ce que je disais au début de cet article sur les nouveaux prénoms en France.
Bref soyons sérieux, nos compatriotes musulmans font pareil que ceux qui ne le sont pas en ce moment : beaucoup sont séduits par ces nouveautés proposées par les magazines… Une petite Lina, Nora, un petit Soan ou Naël sont juste des bébés français du XXIe siècle… Leurs parents trouvent que ces prénoms, qui n’étaient pas donnés auparavant dans la famille, sonnent bien.
Mais personnellement je trouverais beaucoup plus raisonnable pour notre avenir commun qu’aujourd’hui un enfant français porte au quotidien un prénom choisi par ses parents et qui l’inscrit peut-être dans une modernité du XXI e siècle raccrochée à rien du tout si c’est leur choix ou dans une tradition culturelle s’ils préfèrent, mais qu’ils aient également la sagesse de lui en attribuer d’autres (qu’on peut garder discrètement pour soi sauf en cas de contrôle d’identité) qui le rattachent à quelque chose. Comme je l’expliquais dans un autre article (Un nom pour la vie mais une identité en construction constante, il est confortable d’avoir un prénom pour être soi et se construire comme individu dans un pays démocratique car votre sort ne vous est pas imposé dès la naissance par votre sexe, votre rang dans la fratrie, votre origine géographique et sociale. Mais il peut être sage d’avoir d’autres prénoms qui vous rattachent à votre famille ou votre région, vous rappellent d’où vous venez.
donner un prénom à nos enfants est important Leur transmettre l’histoire de « leur propre histoire » est essentiel !
J’ai plusieurs prénoms légués par « mes anciens » que je porte comme une couronne sur ma tête.
Donnés en héritage pour ne pas oublier d’où je viens afin de savoir où je dois aller et avec tout cela, devenir celle que je dois devenir… Moi…
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