Le projet Azorian est le nom de code d’un projet de la CIA, l’agence centrale du renseignement américain, visant à récupérer, au fond de l’océan Pacifique, un sous-marin soviétique qui y a coulé en 1968, afin de s’approprier sa technologie (missiles nucléaires et systèmes de cryptographie)

Pourquoi chercher à récupérer un tel sous-marin ?
Le sous-marin en question (le K129) est un sous-marin lanceur d’engin à propulsion classique qui était armé de 3 missiles balistiques à tête nucléaire et d’un système de cryptographie avancé. Il avait quitté Petropavlosk (ce port du Kamtchatka) et fait naufrage au milieu du Pacifique en février 1968. Les Soviétiques le cherchent sans succès pendant deux mois.

Les Américains réussissent à le localiser à 2500 km au nord-ouest d’Hawaï (en suivant des sous-marins soviétiques qui patrouillent bizarrement dans la zone) puis en réécoutant leurs enregistrements et en découvrant la disparition d’un sous-marin soviétique qui n’a plus donné de nouvelles. Un navire de la marine américain réussit à prendre des photos : on est en septembre 1968. L’épave du sous-marin se trouve à 5000 m de profondeur.
Comment procéder ?
L’opération est à la fois techniquement compliquée, potentiellement très coûteuse avec des risques de surcoût imprévus. En plus on ne veut évidemment pas que les Soviétiques soient au courant d’où l’intérêt d’utiliser comme couverture un navire, le Glomar Explorer spécialement commandé par la CIA et construit à cet effet par un constructeur naval privé : Howard Hughes.
C’est un gros navire de 189 m conçu pour effectuer des forages pétroliers en mer et doté d’une grande pince qui devrait permettre remonter la partie intéressante du sous-marin (qui s’est cassé en deux morceaux). Ce navire est lancé en 1972.
Ce n’est qu’en juillet 1974 que le Glomar Explorer arrive sur les lieux, une partie de la pince casse et on ne réussit à remonter que deux torpilles et du matériel de cryptographie mais pas les missiles ni les livres de code.
Toute cette histoire reste évidemment inconnue jusqu’à ce qu’en 1975, un cambriolage dans les locaux de l’entreprise d’Howard Hughes entraîne une fuite : il y aurait un document où la CIA demande de l’aide Howard Hughes. Le directeur de la CIA demande à la presse de se taire… c’est trop tard.
Finalement les États-Unis avouent à l’Ambassadeur d’URSS qu’ils ont retrouvé le sous-marin, ont rendu les honneurs militaires aux 6 sous-mariniers dont ils ont retrouvé les corps dans l’épave (selon la tradition militaire des marines qui organisent des cérémonies en mer) et qu’ils arrêtent les recherches.
Le fait que cette opération ait été éventée par la presse et son coût exorbitant expliquent qu’aucune nouvelle tentative ne soit relancée ensuite pour récupérer d’autres morceaux du sous-marin.
Les suites de l’opération ?
Après la fin de la Guerre Froide en 1992 le directeur la CIA vient à Moscou et remet au Président Boris Eltsine une vidéo de la cérémonie d’inhumation organisée en 1974 sur le navire américain (on la trouve en ligne sur Wikipédia dans la version anglaise).
La CIA a déclassifié en 2010 un certain nombre d’informations sur ce projet Azorian mais il n’est pas possible de connaître la valeur ce qui a vraiment été récupéré.
Qu’est devenu le Glomar Explorer ?
Il est toujours en service (après avoir été revendu plusieurs fois) et utilisé comme plateforme de forage hauturière. Il est la propriété de Transocéan, une société suisse spécialisée dans le forage gazier et pétrolier, dont le siège social se trouve près de Genève et qui est cotée à la Bourse de New-York.
Le navire est actuellement immatriculé au Vanuatu (un État du Pacifique qui est un de nombreux paradis fiscaux immatriculant des navires sous pavillon de complaisance) et devrait bientôt être démantelé.
Ce navire ressemble beaucoup à un autre navire de prospection, le Nautilus du projet Solwara 1, ce projet d’exploitation d’exploitation de sulfures polymétallifères abandonné en 2018 car trop coûteux.
Que nous apprend cette opération sur les rapports entre les USA et l’URSS pendant la Guerre Froide et l’utilisation du renseignement ?
Cette opération a été très longue (1968-1974), extrêmement coûteuse et l’on ne sait pas réellement si les technologies récupérées en valaient le coup… vu que la CIA n’a jamais été transparente sur ce point.
On s’aperçoit que la rivalité militaire et technologique pendant cette période avec des affaires d’espionnage à la clé (par exemple dans le cas du projet Manhattan) fait en elle-même considérablement progresser les technologies : le Glomer Explorer est très en avance sur son temps… Aujourd’hui on a de tels navires capables de forages à grande profondeur par exemple en Angola (voir le fin de l’article sur le pétrole en Angola)
Les progrès technologiques liés à cette rivalité permanente entre les USA et l’URSS ont finalement débouché, dans certains domaines, notamment celui de l’espace sur une coopération internationale après 1975 qui se poursuit aujourd’hui (voir l’article sur l’URSS et les débuts de la conquête spatiale).
L’autre aspect qui frappe dans cette guerre du renseignement entre la CIA et le KGB, c’est qu’elle comporte des règles non écrites : les espions du camp ennemi démasqués sont finalement assez bien traités et souvent échangés comme si ce jeu du chat et de la souris était si compliqué et si ambigu (dans le cas des agents doubles) qu’on respectait son adversaire.
La cérémonie dont il est question dans cet article au cours de laquelle des marins américains rendent hommage aux sous-mariniers morts dans le K129 en expliquant qu’ils font une cérémonie qui se rapproche au plus des cérémonies soviétiques qui est filmée et traduite en russe illustre bien cet état d’esprit. On a l’impression dans cet espionnage américano-soviétique en période de Guerre Froide, chacun garde toujours une carte montrant sa bonne volonté dont il se servira le moment venu.
A l’inverse les actions de déstabilisation politique menées par la CIA et le KGB dans des pays tiers (en dehors des États-Unis, du Canada, de l’Europe et de l’URSS) semblent beaucoup plus cyniques, tordues et impitoyables : c’est vrai en Amérique latine (Chili, Bolivie, Nicaragua, Guatemala), en Afrique (Zaïre-Congo, Angola, Mozambique) ou au Moyen Orient (Iran, Afghanistan).
Les agissements de l’URSS puis de la Russie envers ceux qu’elle considère comme des traitres sont également particulièrement brutaux (plusieurs affaires d’empoisonnements et d’autres types d’assassinats).
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