La K-pop -en coréen 케이팝( keipap)- est cette industrie musicale lancée en Corée du Sud à partir des années 1990 (c’est-à-dire à partir de la transition démocratique de la Corée) qui combine hip-hop et chant. Elle met en scène de très jeunes artistes (qui jouent principalement en groupe). Son audience est, initialement, constituée de très jeunes fans, collégiennes et lycéennes, qui sont prêtes à dépenser des sommes astronomiques pour assister aux concerts de leurs idoles, acheter des sous-produits et faire tourner les réseaux sociaux.

L’audience du K-pop s’est étendue hors de Corée grâce à YouTube en en faisant un produit d’exportation extrêmement rentable pour le pays et un élément de sa visibilité à l’international.
La première fois que nous avons découvert en France un artiste sud-coréen du K-pop c’est lorsque, de manière étonnante le clip d’un certain Psy a explosé les compteurs sur YouTube en 2012 (plus de 3 milliards de vues) Il s’agissait pourtant juste d’une chanson humoristique Gangnam style qui se moquait du style de vie des nouveaux riches coréens et de ce quartier branché de Séoul (Gangnam-gu) et n’avait pas vocation à être exportée.
Parallèlement le succès actuel de la K-pop est lié au succès des séries TV coréennes (« K dramas ») désormais largement diffusées sur la plateforme américaine Netflix dont la bande-son est justement souvent assurée par des chanteurs de K-pop et dont certains acteurs sont aussi des chanteurs de K-pop.
Un terme coréen a été créé pour désigner le mouvement de diffusion de cette culture sud-coréenne associant musique K-pop et séries télé : celui de « Hallyu » 한류 (en anglais corean wave).
A l’origine du Hallyu, on peut retrouver peut-être la vision du leader coréen de l’indépendance Kim Gu (김구) (1876-1949). (voir l’article La Corée du Sud et la démocratie : quelques jalons ). Il a été Président du gouvernement provisoire juste avant Sygmann Rhee (le premier président) et avait écrit ceci en 1948 :
« I want our nation to be the most beautiful in the world. By this I do not mean the most powerful nation. Because I have felt the pain of being invaded by another nation, I do not want my nation to invade others. It is sufficient that our wealth makes our lives abundant ; it is sufficient that our strength is able to prevent foreign invasions. The only thing that I desire in infinite quantity is the power of a noble culture. This is because the power of culture both makes us happy and gives happiness to others….”
J’aimerais que notre nation soit la plus belle du monde. Je ne veux pas dire la nation la plus puissance car j’ai vécu la douleur d’être envahi par une autre nation. Je ne veux pas que ma nation en envahisse d’autres. Notre propre développement suffit à rendre nos vies riches. Il nous suffit de pouvoir nous défendre contre les invasions extérieures. La seule chose que je désire en quantité infinie est la puissance d’une culture noble. C’est parce que le pouvoir de la culture nous rend heureux mais aussi transmet du bonheur aux autres. »
La K-pop sud-coréenne est en train de devenir la sous-culture d’une jeunesse (adolescents et jeunes adultes) d’Asie orientale. La jeunesse française est en train de découvrir cette musique simple en terme mélodique, rythmée et dont les chorégraphies sont toniques.
Mais essayons d’y voir d’un peu plus près ? En quelle langue chante-t-on ? Quel est le niveau technique des prestations ? Le niveau de professionnalisation du secteur ?
J’ai eu envie d’écrire cet article après avoir regardé sur Netflix une série pour adolescents déjà un peu ancienne : Dream High (2012) qui avait cartonné en Corée du Sud (avec autour de 20 % d’audience ce qui est moins souvent le cas aujourd’hui car les séries se sont multipliées).
L’argument en est le suivant : on suit les débuts dans le métier d’une bande d’adolescents (3 garçons et 3 filles) entrés dans une école destinée à former des stars du K-pop et qui ont des profils de départ particuliers et un peu caricaturaux (la grosse moche ; le bouseux de la campagne qui parle en dialecte ; le fils illégitime d’un homme politique en vue ; la fille prétentieuse qui vient de la musique classique, aurait dû aller faire ses études à Juilliard à New-York et méprise la K-pop ; sa copine qui n’est pas douée, la copie en tout mais travaille beaucoup et enfin le type doué en tout –musique, danse et langues étrangères- mais qui n’a aucune ambition). Qui d’entre eux s’en sortira le mieux dans ce milieu ?

Cette série est un produit commercial formaté pour des adolescents (pas de drogue, pas de sexe, pas d’alcool, pas de cigarettes et un respect des valeurs morales coréennes) mais, néanmoins, j’ai trouvé que la musique était sympa et entraînante (notamment la chanson éponyme du générique composée par Park Jin-young). La jeune héroïne qui, comme moi, venait de la musique classique finissait pas reconnaître que cette musique joyeuse avait des vertus et exigeait de la part des artistes un vrai travail de fond et de nombreuses qualités. C’est ce qui m’a donné l’envie d’en savoir davantage sur la K-pop.
Comment cette musique et cette industrie sont-elles nées ?
Au départ (et comme au Japon), c’est la musique jouée dans les bases américaines qui fait découvrir le rock et la pop aux jeunes Coréens nés dans les années 1950 et 1960. Rappelons que le Japon et la Corée du Sud sont sous occupation américaine après 1945 et que cette présence va être très importante jusqu’à la fin de la Guerre de Corée (1950-1953) (c’est aussi grâce à elle que le base-ball est un sport très populaire dans la région).
Yang Jon-il et son tube Rebecca : le pionnier en 1991 ?
Le pionnier de la K-pop est un Américain d’origine coréenne Yang Joon-il ( 양준일) Il est né en 1969 et se lance en 1991 avec une chanson Rebecca (리베카)
Mais son style ne plait pas vraiment à la société sud-coréenne très conservatrice à l’époque (elle l’est encore aujourd’hui mais un peu moins peut-être ?) : Yang Joon-il a un look efféminé avec des boucles d’oreilles.

Son tube Rebecca est une chanson d’amour en coréen. Il danse accompagné de deux danseurs et à la fin d’une femme qui y fait juste de la figuration. On a là une musique tonique, simple et répétitive avec de la batterie en arrière-plan. La danse est énergique avec des mouvements à caractère sexuel assez suggestifs !
Voilà à mon sens les ingrédients de départ de la K-pop qui vont ensuite être développés de manière à la rendre plus efficace et surtout beaucoup plus rentable, adaptée à un public nombreux, majoritairement féminin, puis capable d’en faire une industrie exportatrice pour la Corée du Sud.
Le premier groupe Seo Taiji & Boys en 1992
Mais, en 1992, c’est un groupe appelé Seo Tai-ji & Boys (서태지와 아이들) qui décolle. Il va fonctionner jusqu’en 1996. Son leader, Seo Tai-ji, est né en 1972. Il a d’abord été bassiste dans des groupes de rock et de hard métal avant d’être recruté comme la star du groupe de 3 garçons. On a les mêmes ingrédients que chez Yang Joon-il mais ici une musique et une danse plus agressives.
Le lancement de SM Entertainment en 1995
Un tournant est pris en 1995 avec le lancement d’une société : la SM-Entertainment qui va faire fortune dans ce secteur émergent. (Ce n’est pas la plus ancienne du secteur mais DSP Media, créée un peu plus tôt, ne s’intéresse pas initialement à la K-pop)
SM-Entertainment est créée par l’entrepreneur Lee Soo-man. Le parcours de cet homme est intéressant : c’est un ancien étudiant de l’Université de Séoul (rappelons qu’il s’agit de l’Université la plus réputée du pays), né en 1952 qui est aussi musicien (guitariste) mais a renoncé à faire une carrière musicale professionnelle car la conjoncture de sa génération ne s’y prêtait pas.
Il travaille alors comme ingénieur en Californie et assiste au lancement de stars comme Michaël Jackson puis rentre en Corée en 1985 avec l’idée de ce que pourrait être une star adaptée au public coréen. C’est là qu’il lance cette entreprise (le nom sont les initiales de son prénom) et va développer les premiers girls et boys bands.

D’autres entreprises se développent ensuite sur ce créneau : YG Entertainment et DSP Media, JYP Entertainment. Puis, au début des années 2000, la K-pop s’exporte au Japon grâce à SM Entertainment et la star BoA.
Prenons maintenant quelques exemples de groupes et d’artistes solo qui ont marqué leur époque dans un secteur qui n’a que 30 ans.
Le groupe H.O.T (1996-2001)
Le groupe : H.O.T. (에쵸티) fonctionne de 1996 à 2001 C’est l’acronyme de High-five Of Teenagers et on peut considérer que c’est l’un des premiers groupes à être idolâtré par ses fans coréens. Ce sont 5 garçons –encore mineurs– recrutés pour être à la fois chanteurs et danseurs mais aussi d’être capables de composer des tubes. Le groupe s’est reconstitué en 2018 et a joué au stade olympique de Séoul pour les JO d’hiver.
Ces 5 chanteurs n’ont que 16 ans quand ils sont lancés dans cette industrie musicale, 14 ans pour le plus jeune. Leur premier vrai tube est Candy (1996) une chanson « bubble gum » destinée à être idolâtrée par un public de jeunes adolescentes. Ce qui est le cas quand on regarde les vidéos sur YouTube
2EN1 (to anyone) : un girls band qui a lancé sa leader (CL) vers une carrière en solo

CL est née en 1991. C’est une ancienne membre du « girl group » 2NE1 de la YG Entertainment (jusqu’en 2019 maintenant elle a créé son propre label). Elle a un père ingénieur ce qui explique qu’elle ait passé une partie de son enfance à l’étranger (au Japon à Tsukuba la cité des sciences et à Paris) si bien qu’elle parle l’anglais, le français et le japonais ce qui est un atout majeur dans ce métier désormais ouvert sur l’international. Elle est lancée en 2009 avec le groupe de 2EN1 puis lance sa carrière en solo en 2013.
BoA une chanteuse qui parle 3 langues !
Kwon Bo-ah (권보아) est née en 1986, elle a été repérée en 1998 par SM Entertainment dans une audition de jeunes talents : elle n’a que 12 ans. Elle sort son premier album coréen en 2000 puis en japonais en 2002 et aux États-Unis en 2008.
Les 2 boys band d’Hype Corporation : BTS (2013) et TXT (2019) : le clonage d’un système bien rodé ?
BTS est boys band de 7 membres depuis 2013 produits par Hybe Corporation (ex Big Hit Entertainment). Son nom coréen est 방탄소년단 (Bangtan Sonyeondan). C’est peut-être le groupe le plus connu à l’étranger.

Le look de ces jeunes chanteurs qui avaient environ 20 ans quand ils ont commencé et devraient a priori tous aller faire leur service militaire incessamment sous peu (même si une loi de 2020 leur autorise un sursis jusqu’à leur 30 ans au lieu de 28 ans) est un look androgyne et donc efféminé par rapport aux canons de la beauté en Corée qui me semble une des caractéristiques de cette K-pop depuis ses débuts. Parmi les éléments marquant il y a le caractère parfaitement imberbe de ces jeunes gens qui leur donne un look presque enfantin quand bien même ils approchent la trentaine.
Ce côté juvénile explique le lancement d’un nouveau groupe encore plus jeune ( TXT) par la même société en 2019


Que retenir de tout cela ?
Si on y réfléchit entre les débuts du K-pop et aujourd’hui progressivement on a plusieurs éléments :
- Des artistes qui adoptent un pseudo qu’un fan non-Coréen est à même de retenir. C’est la même chose pour le nom du groupe. Car quand on ne parle pas et surtout quand on ne lit pas le coréen il est impossible de mémoriser un nom comme un groupe du début H.O.T. (에쵸티) qui ne se prononce pas « hotte » comme on pourrait l’imaginer mais quelque chose comme « aitche-ho-ti » comme le montre le nom en alphabet coréen.
- Au fur et à mesure que la K-pop s’ouvre à l’étranger, ses artistes n’ont plus que des noms de scènes d’une syllabe ou 2 (comme Bom, Nara, Minzy ou CL) et parlent plusieurs langues (anglais, japonais voire chinois comme BoA).
Quels éléments permettent de percer dans ce milieu ?
La série Dream High sur ce plan est assez « pédagogique » (ce d’autant plus qu’elle fait la part belle au producteur de JYP Entertainment qui y joue un rôle de professeur) car, à certains moments, les ingrédients du système sont explicitement dévoilés.
Les entreprises du secteur investissent sur des jeunes qui sont capables d’un retour sur investissement. Pour cela il leur faut :
- Tenir le coup physiquement
- Ne pas pouvoir être déstabilisé par les médias en raison de sa famille ou de son comportement (liaison, drogue…)
- Savoir à la fois chanter, danser et composer de la musique.
- Connaître des langues étrangères (anglais, japonais voire chinois)
- Se comporter avec ses fans comme un professionnel : accepter leurs sollicitations mais rester seul et isolé pour ne pas être ennuyé.
- Accepter de continuer à rester lycéen même si on est déjà entré dans le monde professionnel (car la loi sur la protection du travail des mineurs a été renforcée)
Ce que j’ai également trouvé intéressant c’est ce qui y est expliqué en matière de composition. Ce type de musique fonctionne avec l’enchaînement de 4 accords de basse sur lesquels on organise une mélodie. Je connais le truc… je fais cela à mon piano tous les jours… mais ce n’est pas pour autant que j’invente des tubes ! Quand je recherche sur Internet les partitions de ces tubes du K-pop, je découvre à quel point il est simple d’en jouer une version simplifiée tant il y a peu de notes au départ !
Un tube propose un refrain, un couplet et un pont. Si c’est trop répétitif c’est vite ennuyeux. Si c’est trop intellectuel on ne mémorise pas le thème. Ensuite ce qui en fait le succès c’est le rythme, l’arrangement musical, le look des artistes, leur danse, leurs qualités vocales transcendées par la technique et l’ambiance créée par la scène et le public. Et on s’aperçoit donc que certaines de ces chansons sont juste bien fichues et que c’est tout le reste qui, par un concours de circonstances heureux, peut en faire des tubes à l’audience incroyable.
La limite de cette musique à l’international tient au fait qu’une histoire d’amour chantée en coréen devant un public japonais, chinois ou américain finit par ne pas pouvoir tenir le coup… (tous les fans étrangers n’ont pas forcément envie d’apprendre le coréen) d’où la nouvelle importance aujourd’hui de pouvoir chanter dans une autre langue ou au moins avec un refrain autre qu’en coréen (on trouve aussi cette difficulté à l’Eurovision.)
Chanteurs-danseurs de K-pop et acteurs de séries TV quelles différences de statut, de notoriété et de profil ?
Je pense qu’une différence importante tient à l’âge : les acteurs célèbres de séries TV coréennes sont, dans l’ensemble plus âgés –vers la trentaine voire un peu au-delà car le public adolescent aime des héros un peu plus âgés et qui ont plus de liberté (notamment pour flirter) sauf dans le cas de séries qui se passent justement dans des lycées où les personnages sont des lycéens en uniforme (comme Love Alarm (2019), Dream High (2012)
Pour un scénariste de série TV, coincé par les lois sur la protection sur les mineurs, il est impossible de développer une histoire d’amour avec des lycéens. L’(auto)-censure oblige à limiter considérablement les péripéties. C’est un peu moins le cas avec de jeunes majeurs… même si la morale coréenne doit être sauve.
D’autres part, les acteurs de séries télé sont aussi souvent des mannequins et n’ont pas tout à fait le même profil de départ même si certains réussissent dans les deux genres.
Dans l’ensemble tous ces artistes (mannequins, acteurs, chanteurs) me semblent sous diplômés par rapport à d’autres jeunes car leur réussite professionnelle a été assurée sans passage par l’Université.
Mais la question de fond demeure la durabilité d’un tel modèle de divertissement qui pour l’instant tourne très bien et a connu en vingt ans un essor extraordinaire.
Conclusion provisoire ?
Je ne suis pas pour autant fan de la K-pop pour l’instant. C’est un peu logique : je ne suis pas la cible cherchée par cette industrie du divertissement : je suis beaucoup trop vieille… Ces jeunes éphèbes qui chantent et dansent ne me font pas fantasmer car ils ont l’âge de mes enfants et que trouver sexy leur chorégraphie me semblerait presque incestueux !
Par contre je suis un peu perplexe sur la manière dont les jeunes adolescentes coréennes qui n’ont pas accès à la sexualité contrairement à nos jeunes adolescentes françaises utilisent ces stars inaccessibles comme des objets sexuels indirects.
Peut-être est-ce dérangeant d’oser dire cela mais il me semble toutefois que ce phénomène de fans est lié à la fois à l’enrichissement des jeunes urbains coréens, à la pression énorme du système scolaire et à une sexualité de plus en plus retardée à cause des études qui conduisent à des mariages très tardifs. La K-pop serait ainsi un moyen pour attendre le moment où l’on peut enfin avoir une intimité d’adulte. Et voilà pourquoi je doute qu’elle puisse connaître le même engouement en Occident.
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