Les géographe sont amenés à utiliser et mémoriser un grand nombre de « toponymes » c’est-à-dire de noms de lieux. Logique : leur discipline se donne étymologiquement pour mission de « décrire la terre » (puisqu’en grec « géo » est la terre et « graphein » le verbe grec qui signifie écrire, décrire) et plus précisément pour mission de chercher à comprendre comment la terre est habitée.
Or les hommes qui la peuplent ont donné des noms aux lieux qu’il habitent dans les langues qu’ils parlent. La difficulté commence quand il s’agit de transcrire ces noms en français, surtout quand ces noms proviennent de transcriptions orales (dont les sons ne sont pas les mêmes que ceux du français) ou de transcriptions écrites dans un autre alphabet que l’alphabet latin comme les alphabets russe, arabe, arabo-persan, grec, coréen et d’autres systèmes comme les caractères chinois, le mélange de caractères et de système syllabique du japonais… mais aussi quand il s’agit de transcription en alphabet latin avec des signes diacritiques que nous n’avons pas en français.
Il est également question des noms de peuples : doit-on écrire un Kanak, des Kanaks ou ne pas l’accorder en genre et en nombre. Parler d’un Ni-Vanuatu plutôt que d’un Vanuatais ? Doit-on dire un Targui et des Touareg sans « s » ou un Touareg et des Touaregs ?
Quelle position prendre ?
Voilà une préoccupation que j’ai découverte en m’intéressant aux biens classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et à leur description : (voir aussi l’article Pourquoi tous ces changements de noms ? Réflexion sur l’effacement de l’Occident dans la toponymie et l’anthropologie)
Quand il s’agit de faire de la vulgarisation en géographie et en géopolitique :
- Je propose d’abord d’utiliser au maximum les toponymes francisés quand ils existent et de les prononcer à la française (Londres et non London, Cologne et non Köln, La Nouvelle-Orléans et non New Orleans, Pékin et non Beijing, Canton et non Guangzhou, Séoul et non Seoul)
- Ensuite je suggère d’enlever le maximum de signes diacritiques accents etc... qui n’existent pas en français mais existent dans certaines langues comme le turc, le norvégien, le polonais, le tchèque…
- Je suggère de prendre les transcriptions anglaises quand les noms n’ont pas ou peu été francisés car l’anglais a l’intérêt de ne pas avoir de signes diacritiques (Vietnam et non Viêt-Nam, Dubai et non Doubaï)
- Enfin il me semble légitime de franciser les noms de peuples (majuscule à l’initiale et marque du pluriel en « s »)
Qu’est ce qui semble absurde voir pédant ?
Il existe environ 7000 langues à travers le monde (voir l’article Les langues dans le monde d’aujourd’hui), il semble donc impossible et trop difficile de savoir comment s’écrivent et se prononcent correctement des noms de lieux dans des langues peu connues. Quand on fait de la vulgarisation en géographie et en géopolitique (c’est mon créneau ici), on doit faire en sorte qu’un lecteur puisse entrer dans le nouvel univers géographique où on le plonge sans se trouver submergé de toponymes qu’il trouve très semblables (quand il y a trop peu de syllabes et des sons qui semblent bizarres).
La difficulté de la transcription en alphabet latin du coréen
C’est le cas du coréen avec toutes les finales en « eo », « on », « eon », « eong », « eun », « eung », « ang » « yeo », « yeon », « ju », « gu »… avec des initales en « ch » et « g »
voir la carte des Universités coréennes (voir aussi l’article Le système scolaire en Corée du Sud : un exemple à comparer avec le système français ?)
Et c’est là qu’il me semble nécessaire si l’on doit faire beaucoup de géographie sur la Corée d’apprendre à déchiffrer l’alphabet coréen qui est très simple (voir l’article : Petite introduction à l’alphabet coréen et à la langue coréenne) et surtout parfaitement adapté aux sons de cette langue, si bien que la même carte en coréen est plus simple à mémoriser dès lors qu’on a, en coréen, le niveau d’un enfant de CP (celui qui voit écrit co-ca-co-la et comprend qu’il s’agit de la célèbre boisson américaine et sur cette carte est donc capable de déchiffre des syllabes de 3 lettres).
Voici la même carte également avec les noms en coréen or ce sont tous des noms en 2 syllabes seulement -même si pour éviter des confusions le nom des villes est parfois suivi du suffixe 시 (shi). Les syllabes coréennes sont en effet le plus souvent constituée d’un groupe de 3 lettres (comme 전 (« chon ») ou 남 « nam » (parfois 2, rarement 4)
Sur ma 3e carte j’ai entouré les syllabes qui sont identiques et c’est pour cela que cela nous est si difficile à mémoriser en français : la même syllabes qui en coréen s’écrit avec 3 lettres se transcrit parfois avec selon les cas 3, 4 ou 5 lettres en français. Sur 14 noms inconnus à 2 syllabes (ceux de l’Université et de la ville où elle se trouve -à part Séoul, Busan et Jeju qu’on connaît déjà), on retrouve 5 syllabes identiques (cheon, chon, chung, ju, nam)… comment ne pas trouver cela difficile ?
Ainsi un géographe francophone qui va vouloir en savoir davantage sur la Corée du Sud devra trouver un moyen mnémotechnique pour retenir plus des 4 toponymes de base (Séoul, Inchéon, Jeju, Busan) et le plus simple me semble de passer par l’alphabet.
Il est devra aussi apprendre comme en chinois 3 points cardinaux : buk, nam et dong
Déchiffrer l’alphabet arabe ?
C’est le même cas pour l’alphabet arabe : voir l’article La langue arabe et l’alphabet arabe : un peu de décryptage linguistique, culturel et géopolitique dans lequel je présente la manière dont fonctionne cet alphabet (où les voyelles courtes ne sont pas écrites) et la manière dont les toponymes sont traduits en alphabet latin.
Voici ainsi quelques toponymes arabes du Golfe
On remarquera ici que c’est pour cela que les anglophones écrivent Iraq avec un « q » ce qui est plus logique puisque cette lettre est utilisé pour transcrire le ق et le « k » est utilisé pour l’autre son celui de l’initiale de »Koweït ».
L’ennui en français c’est que nous sommes une langue d’origine latine qui utilise beaucoup de mots en « qu » (qui ? que ? quoi ? ) où pourtant le « u » ne se prononce pas quoique… Et dans notre langue aucun mot ne commence par un « q » sans ce « u » et aucun ne se termine abruptement par un « q » ! Donc l’une des difficultés des toponymes arabes et que l’on va retrouver ce type de consonnes comme dans » Saqqarah » سقارة [saqâra] qui est une nécropole égyptienne et n’a aucune raison valable ni raisonnable d’avoir 2 « q »et un h » quand on voit comment c’est écrit et comment cela se prononce.
Si nous prenons conscience des difficultés en fonction des langues concernées, on peut réussir à utiliser moins de toponymes (voir l’exemple des langues inuites ou des langues polynésiennes déjà abordés dans un autre article.
Le cas compliqué du chinois ?
Enfin il me semble nécessaire en chinois d’apprendre quelques caractères récurrents dans les noms de lieux mais aussi les inscriptions : à la fois les 4 points cardinaux (bei/nan et dong/xi) et le milieux (zhong) mais aussi des caractères qui évoquent le ciel (tian) la montagne (shan), le fleuve (jiang), la mer (hai) ou la porte (men) et n’oublions pas la paix (an)

Le caractère de la paix (AN) est une femme sous un toit.
Le caractère de la porte (MEN) ressemble à une porte à 2 volets
Une inscription en chinois et mandchou à la cité interdite de Pékin (voir l’article La Mandchourie : un petit repérage) sur une porte (MEN)

Mais surtout cette histoire de mémorisation nous amène indirectement à nous intéresser à la culture de ces peuples qui ont des langues si différentes de la nôtre, et la géographie est pour cela un détour pratique.
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