La prise par les Russes de la grande centrale nucléaire ukrainienne de Zaporojia le 4 mars 2022 a réactivé la crainte extrêmement forte d’une catastrophe nucléaire. Effectivement l’Ukraine d’aujourd’hui a un parc nucléaire conséquent : 4 centrales, un total de 15 réacteurs et une puissance installée de 14000 mégawatts ce qui en fait le 2e pays au monde derrière la France pour la part de production d’électricité d’origine nucléaire 54 % contre 70 % pour la France.
Les adultes chez nous comme là-bas n’ont jamais oublié la catastrophe de Tchernobyl, cette centrale située sur le Pripiat au Nord de Kiev dans la « République socialiste soviétique d’Ukraine » près de la frontière avec celle de Biélorussie dont un des 4 réacteurs a pris feu et explosé le 26 avril 1986.
NB Il s’agit sur ce blog d’articles de vulgarisation principalement destinés à des lycéens qui ont choisi la spécialité HGGSP (Histoire géographie géopolitique sciences politiques) et à des curieux (voir l’onglet A propos d’Amnistie Générale). Si on cherche quelque chose de plus pointu pour spécialistes on ne le trouvera pas ici !
Cette catastrophe nucléaire de Tchernobyl constitue à ce jour le plus grave des accidents nucléaires survenus depuis qu’on utilise l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité (l’autre accident majeur étant celui de Fukushima au Japon en 2011 (niveau 7sur 7 dans la classification des accidents par l’Agence Internationale de l’énergie atomique et l’Agence pour l’énergie nucléaire après 1990) ; pour le reste on n’a souvent la mémoire que celle d’un autre accident celui de la centrale de Three Miles Island en 1979 -Pennsylvanie, Etats-Unis- (niveau 5/7).
L’exemple de l’Ukraine qui est aujourd’hui sous les feux de l’actualité permet de réfléchir aux questions de dépendance énergétique et de « mix énergétique » qui sont essentielles aujourd’hui (et demain) dans un pays industrialisé développé.
Le cas ukrainien est d’autant plus intéressant qu’une comparaison peut être faite avec la France (car nous avons une taille et une population assez comparables) alors que sur ces questions énergétiques il est difficile de faire des comparaisons avec des pays très vastes (comme la Russie, les Etats-Unis, ‘Australie ou le Brésil), très peuplés (comme la Chine ou l’Inde) voire les deux à la fois (Chine)

Je commencerai par cette première image qui montre l’état actuel du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl située tout au Nord du pays. Après la catastrophe du 26 avril 1986, il a d’abord fallu éteindre l’incendie et évacuer les populations voisines, puis construire un sarcophage en béton armé pour arrêter les émissions radioactives et enfin rajouter ce vaste dôme à partir de 2010 car le sarcophage est fissuré et il va falloir dans un 2e temps s’attacher à déconstruire ce réacteur. C’est là le vrai problème de l’énergie nucléaire : la dangerosité immédiate certes mais surtout le stockage à court, moyen, long et très long terme des déchets et le démantèlement des vieilles centrales).
Voilà qui explique que si cette centrale est fermée, elle continue à employer de nombreux ouvriers chargés de la maintenance (mais qui désormais habitent beaucoup plus loin que dans les cités voisines).
Cet épisode est resté traumatique notamment parce que l’accident de Tchernobyl a été très mal géré. Les autorités soviétiques ont menti comme à leur habitude en refusant d’admettre dès le début que la situation était hors contrôle (cette mentalité du secret est constante).
C’est ce qui a empêché de mettre en place les mesures d’urgence pour la population notamment celle qui est impérative en cas de catastrophe nucléaire et consiste à distribuer immédiatement des comprimés d’iode (tout particulièrement aux jeunes enfants) pour éviter les cancers de la thyroïde. Il en effet est impératif de se confiner quand passe le nuage radioactif. Pourtant le grand défilé du 1er mai à Kiev en 1986 a eu lieu comme s’il ne s’était rien passé alors qu’il aurait été nécessaire de confiner les habitants le temps que la situation soit moins grave.
Cette centrale nucléaire de Tchernobyl faisait partie d’un vaste programme qui permettait à l’URSS d’avoir un mix énergétique (charbon, pétrole/gaz, hydroélectricité et nucléaire) ce qui est constitue toujours le système russe comme ukrainien mais aujourd’hui on est également attentif à utiliser d’autres énergies renouvelables que l’hydroélectricité (éolien, solaire, biomasse).
Quelques graphiques simples pour découvrir la situation
Ces questions de production, de consommation et d’importation d’énergie sont compliquées : dans les documents spécialisés on trouve de multiples tableaux et graphiques graphiques et j’ai choisi d’en fabriquer peu et de plus simples pour simplement commencer à réfléchir. (voir aussi l’article Où trouver des chiffres clés sur le changement climatique et des graphiques pour l’analyser ?)
La première difficulté de mes graphiques est celle de l’unité choisie : le PJ, pétajoule qui correspond à 1015 joules (car le joule est une toute petite unité de mesure de l’énergie). Il nous faut donc comparer cette situation à celle d’autres pays et notamment dans ce cas à la France qui est un bon étalon.
Deuxièmement quand on parle de production énergétique on doit différencier :
- les énergies non renouvelables (qui produisent beaucoup de gaz à effet de serre) à savoir charbon, pétrole, gaz ;
- les énergies renouvelables actuellement fortement encouragées : biomasse, solaire, éolien
- et l’énergie nucléaire qui utilise certes un minerai non renouvelable (l’uranium) mais en faible quantité , ne produit par de gaz à effet de serre (les tour de refroidissement rejettent de la vapeur d’eau) mais a l’inconvénient de présenter des risques en cas d’accident et des problèmes de stockage des matériaux usagés. L’autre inconvénient du nucléaire est que la maîtrise de la technologie d’une centrale nucléaire permet ultérieurement de maîtriser celle de la bombe nucléaire.
L’Ukraine : un pays dont la production énergétique s’est effondrée depuis l’Indépendance
Le premier graphique porte sur la production énergétique en Ukraine et en France en comparant la situation d’avant l’indépendance à la situation actuelle (diagramme en barres).
Il s’agit là de ce qu’on est produit dans le pays soit en exploitant ses ressources du sous-sol (gaz, pétrole, charbon), soit en utilisant son parc nucléaire (en gris), soit en utilisant des ressources renouvelables (hydroélectricité, biomasse, solaire, éolien).
On lit juste sur ce graphique que la production énergétique en Ukraine est passée d’un peu moins de 6000 PJ à un peu seulement moins de 2000 PJ bref qu’elle a presque été divisée par trois pendant cette période pourtant marquée par la mondialisation et l’émergence de la Chine et d’autres pays.
Pendant le même temps la France qui en produisait moins que l’Ukraine (moins de 5000) a augmenté sa production, elle a abandonné le charbon, développé ses énergies renouvelables.
On découvre donc que la production énergétique de l’Ukraine à l’Indépendance était supérieure à celle de la France mais qu’ensuite elle s’est effondrée car c’est le système économique soviétique fondé sur une industrie lourde utilisant beaucoup de charbon qui s’est effondré.
L’Ukraine un pays dont la consommation d’énergie s’est effondré mais qui dépend beaucoup de la Russie
Et qu’en est-il maintenant de la consommation car dans un cas comme dans l’autre la dépendance énergétique face aux hydrocarbures (pétrole et gaz) reste très forte.
L’Ukraine est alimentée par 3 gazoducs qui viennent de Russie et ont des noms très rassurants : Soyouz (unité), « Bratsvo » (fraternité) et Iamaï-Europe (progrès) et continuent en Europe orientale.
En Ukraine on continue à utiliser le charbon car on continue à en produire dans le Donbass, c’est-à-dire l’Est du pays.
C’est ce que je veux suggérer avec cette deuxième photographie qui représente la centrale thermique de Svitlodarsk près de Donetsk.

Cette photo me rappelle mes vacances en URSS en 1984 (voir l’article Moscou-Erevan-Tbilissi 1984) et en Tchécoslovaquie en 1985 : quand il fait chaud pendant l’été continental et qu’on n’a pas les moyens de partir loin en vacances n’importe quel plan d’eau un peu pourri peut servir de lieu de baignade familial-et j’imagine en hiver de lieu de patinage- C’est moche, c’est pollué, c’est contraire au développement durable… mais cela demande du temps et des investissements pour inventer un autre système économique et améliorer le cadre de vie. Pour moi elle illustre le fait que dans ces régions d’industrie lourde on est resté figé à l’époque soviétique pendant que le reste du monde bougeait et qu’on s’est progressivement paupérisé… C’est l’un des drames de l’Ukraine mais aussi d’un certain nombre de campagnes russes.
Comment produit-on de l’électricité en Ukraine ?
Rappelons que pour produire de l’électricité il existe différentes technologies : construire des barrages sur des cours d’eau, puis faire couler l’eau dans une turbine reliée à un générateur (c’est-à-dire une bobine électrique -comme celle d’un dynamo de vélo- qui produit un courant alternatif) ; utiliser la force du vent (même principe avec une éolienne qui fait tourner un alternateur). C’est de l’énergie renouvelable.
Ensuite on peut faire chauffer de l’eau ce qui produit de la vapeur d’eau laquelle entraîne une turbine reliée à un générateur (même principe que précédemment). Et pour faire chauffer cette eau on peut utiliser du charbon, du pétrole, du gaz (dans les centrales thermiques classiques c’est donc de l’énergie non renouvelable), de la biomasse (renouvelable) et de l’uranium (centrale nucléaire… mais on prend la précaution d’avoir deux circuits : un circuit d’eau fermé près du cœur du réacteur et une deuxième circuit d’eau réchauffé par le précédent qui lui renvoie de la vapeur d’eau non contaminée dans l’atmosphère.
On produit également de la chaleur (par exemple en brûlant des ordures) chaleur qui peut alimenter un système de chauffage pour de l’habitat collectif ou des écoles par exemple… et de ce fait on n’a pas besoin d’utiliser des radiateurs électriques ou une chaudière à gaz personnelle).
Enfin le dernier système est l’électricité produite grâce au soleil par les panneaux photovoltaïques.

Quelle est la place de l’Ukraine dans le domaine du nucléaire civil ?
Voilà un tableau simplifié des 10 premiers pays au monde qui ont le plus de réacteurs nucléaires.
La France est sur ce plan au 2e rang et l’Ukraine au 7e avec ses 4 centrales.
Le petit tableau montre que le choix de localisation d’une centrale repose à la fois sur la possibilité d’avoir un cours d’eau suffisamment alimenté pourle refroidissement (c’est le cas du Dniepr pour Zaporajia, du Boug -pour les centrales de Khmelnitski et Konstantinovka, de la Styr -affluent du Pripiat pour Rivne) et d’être pas trop loin d’un foyer de population important et d’industrie (car c’est un gros consommateur d’énergie). En ce sens la centrale de Tchernobyl était bien située pour alimenter en électricité la ville de Kiev.

L’hydroélectricité en Ukraine : des installations déjà anciennes, une production électrique qui a une place marginale
Un certain nombre d’installations hydroélectriques ont été construites à l’époque soviétique sur le Dniepr (c’est également le cas sur le Don, la Volga et les fleuves de Sibérie). Mais on peut remarquer que le total des puissances cumulées un peu plus de 3000 mégawatts est équivalent à une centrale nucléaire et qu’au total cela ne représente que 1 % de l’électricité consommée en Ukraine.
Les centrales thermiques en Ukraine

L’énergie solaire en Ukraine : quelque chose d’encore marginal
Quant aux énergies renouvelables elles sont encore très peu développées ainsi cette très grande centrale photovoltaïque en service depuis 2011 en Crimée d’une puissance de 100 Mégawatts.

4 autres centrales de ce type ont été installées depuis.
La dépendance énergétique vis à vis de la Russie
Par conséquent l’Ukraine reste extrêmement dépendante pour sa consommation d’énergie d’énergie non renouvelables (pétrole et gaz) qui viennent de Russie.

Je terminerai par une photo du mémorial construit à Tchernobyl : cette catastrophe nucléaire a permis de prendre conscience que les problèmes environnementaux se moquent des frontières et doivent être traités au niveau international dans l’intérêt de tous. C’est aussi que nous sommes dépendants les uns des autres pour notre énergie et que ce secteur est potentiellement
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