Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville : deux penseurs politiques du XIX e siècle qui réfléchissent à la démocratie et sont très difficiles pour des lycéens du XXI e siècle !

Nous allons ici évoquer deux penseurs politiques du XIX e siècle largement oubliés aujourd’hui deux siècles plus tard sauf de quelques étudiants en sciences politiques dans les Facultés de Droit en France et dans les Instituts de Sciences Politiques : Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville (et rencontrer au passage Mme de Staël).

Les œuvres de Tocqueville (1805-1859)
Couverture d’un ouvrage sur Benjamin Constant (1767-1830) et Germaine de Staël (1766-1817) (2017)

Les concepteurs des programmes de HGGSP (Histoire géographie géopolitique sciences politiques) de Première ont pourtant eu l’idée ambitieuse de les mettre comme « jalons » -c’est-à-dire exemples -dans les programmes pour des jeunes Français de 16 ans qui ne connaissent pas bien ni l’histoire grecque et romaine, ni celle de la Révolution américaine et française et ne font ni latin ni grec… Or toutes les références de ces deux penseurs portent là-dessus. Cela risque donc d’être difficile mais c’est difficile également à 18-20 ans quand on est étudiant en Droit ou en Sciences Politiques en 2022 !

D’où cet article pour tenter de présenter les choses de manière plus simple mais en faisant un long détour.

D’où sortent les idées politiques originales ? Curiosité et voyage à la découverte de l’Autre ?

Pour comprendre la pensée de Benjamin Constant ou de Tocqueville quand on est juste lycéen ou déjà étudiant, on peut se poser la question suivante : qu’est-ce qui explique qu’un penseur (philosophe, homme politique) puisse avoir des idées plus originales que celles de ses contemporains, des idées dont on se souvient longtemps après car elles font avancer les choses ?

Pour moi la réponse est double :

  • Premièrement parce qu’il était curieux et que cette curiosité fait qu’il a suivi des études (quel que soit son milieu social d’origine : cela peut être un cursus classique par exemple du droit à l’Université) mais qu’il n’est jamais satisfait de ce qu’il y a trouvé et a continué à étudier. En attendant il sait lire des choses difficiles, peser ses mots, écrire pour structurer sa pensée (et parfois mais, pas systématiquement, c’est un bon orateur et débatteur à l’oral).
  • Deuxièmement il vit des choses originales soit qu’il se retrouve, par sa génération, au milieu de situations inédites où il faut inventer des solutions inédites (c’est le cas pendant la Révolution française), soit il part hors de son pays d’origine découvrir d’autres manières de vivre. Exceptionnellement on a des penseurs qui n’ont jamais quitté leur environnement et ont réfléchi toute leur vie. C’est le cas du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) qui a passé toute sa vie à Koenigsberg en Prusse orientale… et pourtant sa Critique de la raison pure est un ouvrage majeur dans l’histoire de la philosophie.

Les 2 hommes dont nous allons parler : Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville présentent justement ces 2 caractéristiques : curiosité et regard de personnes qui ont vécu à l’extérieur de leur milieu social et/ou de leur pays.

Mais si on est attentif, on remarque qu’on en rencontre d’autres de ces esprits curieux qui ont vécu des choses originales au fil de nos programmes scolaires mais sans y prêter attention. Or pourtant cela serait plus simple à l’adolescence de partir du parcours de ces hommes (il n’y a pas beaucoup de femmes dans le lot) pour essayer de comprendre leur pensée : on ferait ainsi de l’histoire et de la géographie et, progressivement, on comprendrait leurs réflexions abstraites qui sont écrites dans une langue difficile.

Prenons quelques exemples : Rabelais (Humaniste de la Renaissance qui s’intéresse beaucoup à l’éducation -voir l’article Rabelais et les moutons de Panurge), Spinoza  (à Amsterdam au XVIIe siècle qui est exclu de la communauté juive à laquelle il appartient), Clausewitz -théoricien de la guerre à l’époque des guerres napoléoniennes -voir l’article Clausewitz et De la guerre (Vom Kriege) 1832 : décryptage), Karl Marx (bourgeois allemand qui vient en Angleterre réfléchir à la société industrielle), Jean Jaurès (sur le socialisme et le pacifisme notamment -voir l’article Qui est vraiment Jean Jaurès ?) et plus récemment Jean Monnet (père de l’Europe voir l’article Jean Monnet l’Européen de Cognac), Peter Drucker (qui s’intéresse à l’enjeu de la connaissance -voir Peter Drucker, « pape du management » et la « société de la connaissance »).

J’ai aussi sur ce blog évoqué la figure de quelques anthropologues français : Germaine Tillion (voir Germaine Tillion, une ethnologue dans la tourmente) et Claude Levi-Strauss (voir l’article Claude Levi-Strauss et l’anthropologie structurale) ; américain : Edward T. Hall voir l’article Edward T. Hall, la distance proxémique, les Hopis et les Navajos) car les anthropologues aiment aller à la rencontre des autres cultures, c’est aussi le cas des géographes : j’ai également parlé du géographe Pierre Gourou (voir l’article Le gourou des géographes). J’adore ces biographies dans lesquelles on découvre un individu curieux qui découvre d’autres cultures. C’est sans doute parce que cela fait écho à mon propre parcours (voir Pikine : mon premier terrain de géographe)

On pourra aussi retrouver sur ce blog celles de gens plus ou moins sympathiques qui nous plongent dans une époque et ont un rôle politique important : Bolivar (voir Bolivar, héros compliqué de l’Amérique latine au XIX e ?, Cecil Rhodes (Cecil Rhodes : un homme amputé de son nez un siècle après sa mort ?), Fidel Castro (voir l’article Fidel Castro (1926-2006) un dictateur assoiffé de pouvoir, perçu comme un héros ?), Salvador Allende (voir Salvador Allende et sa mémoire).

Que retenir de cette longue remarque introductive : si nous voulons, parmi notre jeunesse actuelle, trouver plus tard des penseurs originaux, il faut à la fois qu’on valorise la curiosité et qu’on leur permette de voyager longtemps non comme un touriste pressé, non pour faire juste la fête, mais pour étudier, vivre et travailler à l’étranger en y restant longtemps et en étant confronté à d’autres modes de pensée et modes de vie... et surtout qu’ils évitent de passer leur temps d’être sur les réseaux sociaux pour raconter et commenter tout ce qu’ils vivent en direct !

Mais revenons donc au début du XIX e siècle, à une époque où l’on se déplace lentement (pas encore de train ni d’avion, surtout en bateau quand c’est possible -, à cheval ou en voiture à cheval, à pied -c’est fatigant et inconfortable), beaucoup plus rarement qu’aujourd’hui, où l’on ne parle pas toujours une langue vivante (on parle français dans l’Europe intellectuelle et on lit le latin mais on écrit ) et où l’on n’a pas de Smartphone pour communiquer en permanence ce qu’on fait, voit et pense !

Si aujourd’hui nous évoquons ces penseurs c’est qu’ils ont pris le temps de discuter, de lire, d’écrire et de se forger une pensée originale et que peu de personnes à l’époque ont pu en faire de même.

Qui est Benjamin Constant (1767-1830) ?

C’est un écrivain et homme politique qui a un parcours original : d’abord c’est un « huguenot » (un protestant) dont la famille française a quitté la France après la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685 pour se réfugier en Suisse dans le comté de Vaud où se trouve la ville de Lausanne et qui est francophone. Benjamin Constant donc est né à en Suisse. Il étudie d’abord en Bavière à l’Université d’Erlangen puis à Édimbourg en Écosse, à Bruxelles et aux Pays Bas.

A quoi ressemble-t-il ? A cette époque la photographie n’existe pas, on a juste quelques toiles ou gravures comme celle-ci : on y voit juste un homme mûr du premier XIXe siècle qui a la tenue vestimentaire stricte et la chevelure à la mode à cette époque (la Restauration) et dans ce milieu (les députés).

Une gravure représentant Benjamin Constant (1867-1830) à l’époque où il est député de la Restauration sur la fin de sa vie

Que peut-on étudier à l’époque où Benjamin Constant est encore un jeune homme ? Par exemple à Erlangen où il arrive vers 18 ans, il n’y a que théologie protestante, jurisprudence, médecine et philosophie. Benjamin Constant est donc au départ un étudiant littéraire qui maîtrise à la fois le français, le latin, l’allemand et l’anglais et qui sait parfaitement écrire et a vécu dans plusieurs pays d’Europe.

Avoir 16 ans pouvoir comprendre l’Amour mais pas la politique ?

Personnellement j’avais rencontré cet auteur dans mes études au lycée à cause de son roman Adolphe 1816 qui a un côté autobiographique et commence par ses mots (les lycéens de Première savent à quel point l’incipit d’un roman est important, c’est un point sur lequel le professeur de Français a insisté !) :

L’incipit d’Adolphe de Benjamin Constant paru en 1816 (on trouve le texte intégral ici). C’est un peu autobiographique puiqu’il y est question d’un jeune homme un peu dissipé qui parcourt l’Europe

Lire un roman du XIX e siècle qui évoque des histoires d’amour très compliquées, écrites dans un français très soutenu était quelque chose de normal quand j’étais élève en classe de Première et l’est toujours. On a dans la même veine La princesse de Clèves de Madame de Lafayette (1678), René de Chateaubriand (1802), Le Rouge et le Noir de Stendhal (1830), l’Éducation sentimentale de Flaubert (1869)… On trouvait normal qu’un jeune lycéen de 16 ans puisse entrer dans ces histoires d’amour parce que l’Amour est une passion humaine qui transcende les époques et les sociétés et qu’on peut être amoureux à 16 ans !

Mais on estimait qu’un lycéen de 16 ans n’avait pas le bagage historique ni la maturité pour comprendre un discours du même auteur intitulé De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819) ni un traité intitulé De la démocratie en Amérique (1835).

C’est pourtant ce qui a été mis dans notre programme de HGGSP à propos de la démocratie ! Est-ce bien raisonnable ? Sans doute pas !

Mais pourquoi également avoir mis ce Benjamin Constant dans nos programmes ?  C’est aussi parce qu’il a une vie privée un peu agitée et que c’est important par rapport à ses idées sur la liberté des « Modernes » (c’est ainsi qu’il qualifie ses contemporains après la Révolution française) dans la sphère privée.

Or cette liberté dans la sphère privée est quelque chose qui nous tient particulièrement à cœur aujourd’hui en ce début du XXIe siècle.

Benjamin Constant a été marié jeune (1789) par son père à une aristocrate allemande dont il divorce (car à cette époque de la Révolution française le divorce est possible). Puis il entretient une liaison avec la seule femme qui, à cette époque, a des idées politiques intéressantes : Mme de Staël (cela se prononce « stal ») qui, elle aussi, est mariée.

Voilà une femme qu’on aurait pu nous mettre dans le programme, si on voulait absolument nous instiller l’idée qu’une femme peut avoir des idées politiques,  même à une époque où elle n’a pas le droit de participer à la vie politique et on doit se marier ! Pour cela il suffit qu’on lui ait laissé la possibilité de faire des études et de discuter avec des gens cultivés sans qu’on la prenne pour une « précieuse » (comme c’est le cas à l’époque de Molière) et non la ravaler dans un rôle d’épouse, de mère ou de jolie potiche !

Une petite parenthèse sur la similitude entre les parcours de Benjamin Constant (1767-1830) et celui de Mme de Staël (1866-1817)

Madame de Staël (1766-1817) (c’est ainsi que je vais la désigner parce que c’est sous ce nom qu’elle est passée à la postérité) est une femme très intéressante. (Il peut paraître très misogyne au XXI e siècle de désigner une femme par son titre d’épouse et le nom de son mari… c’est pourtant comme cela qu’on m’étiquette depuis plus de 30 ans dans vie professionnelle !)

Oublions donc son prénom (Germaine) mais non son nom de jeune fille (Necker -cela se prononce « nèkre »-) qui est un nom connu puisqu’il s’agit de celui du ministre des finances de Louis XVI, celui qui est renvoyé en 1789. Mme de Staël est sa fille est elle est présente le 5 mai 1789 à Versailles dans la salle où s’ouvrent les États Généraux…

L’ouverture des Etats Généraux le 5 mai 1789 à Versaillles : on voit le roi, les représentants des 3 Ordres (le Clergé à gauche, le Tiers Etat au milieu et au fond les Nobles. Dans la tribune on a des femmes spectatrices parmi lesquelles Mme de Staël

Évitons de l’appeler par son titre de noblesse (baronne de Staël-Holstein qu’elle tient de son mari épousé en 1785 -à 20 ans – : il est allemand et ambassadeur du roi de Suède à la Cour de Louis XVI.

De par ce milieu riche et favorisé, Mme de Staël a reçu une excellente éducation, élevée au milieu de gens de lettres et, sur ce plan intellectuel ,n’a rien à envier à un homme du même milieu. Elle écrit  des essais philosophiques, sur Jean-Jacques Rousseau notamment.

Cette femme, Mme de Staël, est plus intéressante sur le plan intellectuel que Madame Roland (1754-1793) qui est dans notre programme d’Histoire de Première parce que Madame Roland est guillotinée en 1793 et ne voit pas la suite de la Révolution (voir l’article Madame Roland, une femme dans la Révolution française) tandis que Mme de Staël est aux premières loges depuis le début jusqu’à sa mort en 1817

Mme de Staël va vivre en partie en exil une période charnière de notre histoire concernant les changements politiques. Elle est va d’abord être favorables aux idées révolutionnaires de 1789 puis les critiquer et devoir se réfugier en Suisse. Elle passe dix ans en exil.

C’est là qu’elle rencontre Benjamin Constant (1767-1830) qui est donc de la même génération et avec laquelle elle entretient une liaison et discute certainement beaucoup de politique. Elle rentre en France à la Restauration, y ouvre un salon et fait connaître en français les œuvres d’écrivains allemands qui vont inspirer les premiers romantiques. Elle écrit aussi des romans (aujourd’hui oubliés) où il est question de femmes victimes des contraintes sociales. Mme de Staël laisse, outre ses romans  Delphine (1802) et Corinne ou l’Italie (1807), deux ouvrages parus à titre posthume Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818), ainsi que ses Dix années d’exil (1821).

Si on l’a largement oubliée, c’est qu’elle meurt tôt (1817) à une époque où, au début de la Restauration, le bouillonnement des idées politiques qui est en train de reprendre en France n’est pas encore aussi important que plus tard (notamment sous la Monarchie de Juillet).

Voilà pourquoi nous avons davantage retenu aujourd’hui la conférence pédagogique de Benjamin Constant à l’Athénée royal : De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819) que l’ouvrage posthume Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818) de Mme de Staël qui pourtant sont des réflexions politiques du même ordre.

Les « Anciens » et les « Modernes » (qui nous semblent pourtant si « Anciens » deux siècles plus tard !)

L’auteur y oppose deux conceptions de la liberté, celle des « Anciens » (il songe par là principalement aux Grecs d’Athènes au Ve s av JC et, accessoirement, aux autres cités grecques comme Sparte ainsi qu’à la République romaine) et de l’autre celle des « Modernes » (ses contemporains qui vivent sous la Restauration dans une monarchie tempérée et qui aspirent à plus de liberté sur le plan individuel).

Pour comprendre ce qu’il pense, il faut donc que nous connaissions le fonctionnement politique à Athènes (mais aussi à Rome sous la République) (voir l’article La démocratie à Athènes au Ve siècle avant J.C. : quelques jalons pour comprendre l’importance actuelle de ce modèle politique

Or contrairement à nos prédécesseurs (avant la Seconde Guerre mondiale) cette histoire est peu étudiée aujourd’hui dans nos programmes scolaires et ne nourrit plus vraiment nos réflexions politiques  car nous avons largement arrêté d’apprendre le grec et le latin dans nos lycées et de faire vraiment autant de références à ces modèles tant aujourd’hui ils ne nous semblent pas si pertinents pour comprendre nos sociétés démocratiques contemporaines.

Car en fait les « Modernes » dont parle Benjamin Constant sont déjà très peu modernes pour nous : ils ont plus de deux cents ans… Entre eux et nous se sont passés des événements qui ont complètement bouleversé nos sociétés et notre planète : Révolutions industrielles, croissance démographique et urbanisation, colonisation et décolonisation, deux Guerres mondiales, régimes totalitaires des années 1930…

Mais en même temps les hommes politiques du XIX e siècle aux Etats-Unis comme en Europe n’utilisaient que ces références pour construire leurs nouveaux systèmes politiques et nous avons hérité de ces systèmes politiques qui se sont construits au XIXe siècle, notamment de leur vocabulaire.

Par exemple nous avons un « Sénat », les Américains aussi et c’est un terme qui vient de la Rome antique et désigne une assemblée perçue comme sage car ses représentants sont vieux (donc expérimentés). Nous avons des jurés tirés au sort dans les procès en Cour d’assise en plus des magistrats professionnels qui connaissent le droit comme il existait des tirages au sort dans le système athénien en considérant que pour rendre la justice il faut certes respecter le droit mais aussi être un homme de son temps, or certains crimes ou délits sont plus ou moins choquants selon l’époque.

Pour Benjamin Constant la grande différence entre les « Anciens » et les « Modernes » est qu’à l’époque d’Athènes il y avait une faible séparation entre la vie privée et la vie publique. Les Grecs participaient collectivement et directement à la vie de la cité. Le pouvoir avait droit sur tout notamment sur les mœurs un peu moins à Athènes (où l’on peut quand même être ostracisé).  Il écrit :

« Comme citoyen, il décide de la paix et de la guerre ; comme particulier, il est circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements. »

Sans compter que la souveraineté politique des Anciens s’accompagne d’un système économique fondé sur l’esclavage et ne fonctionne que parce que ces cités-États sont à la fois de petite taille et peu peuplés.

Or au XIXe siècle on ne peut plus voir les choses de la même manière. 

Constant tire de sa réflexion un certain nombre de principes politiques :

  • L’indépendance individuelle est le premier des besoins modernes.
  • Les institutions des républiques anciennes, gênant la liberté individuelle ne sont pas admissibles dans les sociétés modernes.
  • Les individus ont des droits que la société doit respecter.
  • Il ne faut pas vouloir revenir en arrière. « Puisque nous sommes dans les temps modernes, je veux la liberté convenable aux temps modernes. La liberté politique en est la garantie ; la liberté politique est par conséquent indispensable. »
  • Le système politique doit être celui de la représentation. Chaque homme vote pour que ses intérêts soient défendus.

Puisque la liberté antique n’est pas la même que la liberté moderne, il s’ensuit qu’elles sont respectivement menacées de dangers différents. Le danger de la liberté antique repose sur une aliénation de l’individu, que l’État puisse écraser l’individu.

Mais le danger qui guette la liberté moderne est, comme le suggère aussi Tocqueville un peu plus tard, est que l’individu soit trop absorbé par la poursuite de ses intérêts individuels et renonce à ses droits de partage du pouvoir politique. Cette réflexion reste d’actualité en ces temps où l’abstention est si importante aux élections.

Alexis de Tocqueville (1805-1859) et De la démocratie en Amérique (1835)

Tocqueville est né l’année de la victoire de Napoléon à Austerlitz dans une famille de la noblesse près de Cherbourg dans le Cotentin. Il fait des étudies de droit sous la Restauration et obtient une mission en 1831 pour aller étudier le système pénitentiaire américain, ce qui lui permet de découvrir le système politique de ce nouvel État né de la Révolution de 1776.

Il part en 1831 avec un autre magistrat français qui comme lui est issu de la noblesse le comte Gustave de Beaumont pour un voyage d’études de 6 mois aux Etats-Unis dont le thème est le système carcéral : la monarchie de Juillet se demande si elle peut s’en inspirer.

Ce sont deux jeunes magistrats : Tocqueville a 26 ans, Beaumont 29 ans. Mais ils ne se contentent pas d’observer les prisons mais plus largement la société américaine. En 1833 ils rendent un rapport Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France.

Le collègue de Tocqueville le Comte de Beaumont a été surtout frappé par les relations raciales. Il en tire un roman aujourd’hui bien oublié : Marie ou l’esclavage aux États-Unis. Tableau de mœurs américaines. (1840)

Tocqueville lui propose une analyse de la démocratie représentative intitulée De la démocratie en Amérique qui parait en deux tomes en 1835 et 1840. il s’intéresse aux vertus, aux risques et à la dynamique de ce régime. Il est élu à l’Académie française.

Tocqueville se présente aux élections législatives de 1839 (on est sous la Monarchie de juillet) dans sa circonscription (Valognes -c’est là où se trouve son château familial) et siège comme député (il n’est pas très bon à l’oral). Il est également élu député en 1848 de l’Assemblée Constituante puis en 1849 de l’Assemblée législative de la Deuxième République.

Il se retire de la vie politique après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte qui transforme le régime en Second Empire et écrit son autre œuvre importante L’Ancien Régime et la Révolution où il argumente pour montrer que la révolution est en fait juste l’accélération d’un processus qui est commencé sous l’Ancien Régime et qui se prolonge.

Le texte le plus célèbre et le plus simple est celui dans ses Souvenirs où il raconte la première élection au suffrage universel direct le 23 avril 1848. On fait 5 km à pied de Tocqueville (c’est que se trouve son château familial à Saint-Pierre-Eglise (où se trouve le bureau de vote) (Il est élu député de la Manche ).


La population m’avait toujours été bienveillante, mais je la retrouvai cette fois affectueuse, et jamais je ne fus entouré de plus de respect que depuis que l’égalité brutale était affichée sur tous les murs. Nous devions aller voter ensemble au bourg de Saint-Pierre, éloigné d’une lieue de notre village. Le matin de l’élection, tous les électeurs, c’est-à-dire toute la population mâle au-dessus de 20 ans, se réunirent devant l’église. Tous ces hommes se mirent à la file deux par deux, suivant l’ordre alphabétique ; je voulus marcher au rang que m’assignait mon nom, car je savais que dans [les] pays et dans les temps démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s’y mettre soi-même. Au bout de la longue file venaient sur des chevaux de bât ou dans des charrettes, des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre ; nous ne laissions derrière nous que les enfants et les femmes ; nous étions en tout cent soixante-dix. Arrivés au haut de la colline qui domine Tocqueville, on s’arrêta un moment ; je sus qu’on désirait que je parlasse. Je grimpai donc sur le revers d’un fossé, on fit cercle autour de moi et je dis quelques mots que la circonstance m’inspira. Je rappelai à ces braves gens la gravité et l’importance de l’acte qu’ils allaient faire ; je leur recommandai de ne point se laisser accoster ni détourner par les gens, qui, à notre arrivée au bourg, pourraient chercher à les tromper ; mais de marcher sans se désunir et de rester ensemble, chacun à son rang, jusqu’à ce qu’on eût voté. « Que personne, dis-je, n’entre dans une maison pour prendre de la nourriture ou pour se sécher (il pleuvait ce jour-là) avant d’avoir accompli son devoir. » Ils crièrent qu’ainsi ils feraient et ainsi ils firent. Tous les votes furent donnés en même temps, et j’ai lieu de penser qu’ils le furent presque tous au même candidat.
Aussitôt après avoir voté moi-même, je leur dis adieu, et, montant en voiture, je partis pour Paris.

Alexis de Tocqueville, Souvenirs.

Mais qu’écrit-il de si important dans De la démocratie en Amérique ?

Le premier tome est une analyse descriptive générale sur la démocratie et s’inspire de sa culture historique Le second tome est une réflexion sur les formes particulières de la démocratie américaine. Il explique qu’il existe un risque de tyrannie de la majorité dans la démocratie.

L’ouvrage est très riche. Il n’est clairement pas à la portée d’un lycéen de 16 ans d’en retenir davantage : il aurait besoin de connaître mieux les Etats-Unis du début du XIX e siècle et la France sous la Monarchie de Juillet

3 réflexions sur “Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville : deux penseurs politiques du XIX e siècle qui réfléchissent à la démocratie et sont très difficiles pour des lycéens du XXI e siècle !

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