Lagos (Nigeria) : repérages

Un nouvel article de repérage sur cette immense métropole en plein essor économique (24 millions d’habitants environ ) qui a été jusqu’en 1991 la capitale du Nigeria (aujourd’hui c’est Abuja dans le centre du pays). Il fait suite à un article plus général sur le Nigeria (voir Le Nigeria : un peu de repérage)

J’ai commencé par une petite carte qui zoome dans un premier temps sur le Sud-ouest du Nigeria frontalier avec le Bénin : à cet endroit la côte du golfe de Guinée est marqué par des lagunes et c’est là qu’on a installé des ports aujourd’hui très actifs comme celui de Lagos qui est de très loin le port le plus important du golfe de Guinée.

Si on retarde cette carte de manière plus précise : Lagos se trouve proche d’une autre ville portuaire installée dans un site du même genre située chez son voisin de l’Ouest : le Bénin.

Le Bénin (ex Dahomey) a été colonisé par la France en 1894. Elle y a développé le port de Cotonou (c’est la capitale économique du pays) tandis que la capitale politique se trouve à 30 km à Porto Novo. Porto Novo est une ville de plus de 250 000 habitants tandis que Cotonou en concentre plus d’1,7 million dans l’agglomération. Mais le Bénin n’est qu’un petit pays de 115 000 km² pour une population totale de 12,5 millions.

Or à l’Est du Bénin se trouve son immense voisin le Nigeria ( près d’1 millions de km², plus 200 millions d’habitant)s avec son immense agglomération de Lagos installée au bord d’une lagune du même type.

L’agglomération de Lagos est l’une des plus peuplées d’Afrique (avec Kinshasa, Le Caire et bientôt Khartoum) rassemblant autour de 24 millions d’habitants.

C’est l’immense métropole d’un pays enrichi par le pétrole, également miné par la criminalité et où le prosélytisme religieux (chrétien et musulman est particulièrement fort car le Nigeria, comme tous les États du golfe de Guinée, se trouve à l’interface entre la forêt et la savane, entre l’Afrique subsaharienne islamisée et christianisée. La ville voisine d’Ibadan qui n’est qu’à 130 km est une agglomération de 3,5 millions d’habitants.

Quel marqueur iconique pour Lagos ? Un vieux théâtre en béton armé en forme de coiffure militaire ?

Pendant des décennies le Nigeria est passé sous le radars des géographes français. On n’en retenait peu de choses, c’était un pays anglophone, qui avait obtenu l’Indépendance en 1960, qui produisait du pétrole et dont la partie Sud-est (le Biafra) située au niveau du delta du fleuve Niger avait connu une famine très médiatisée en 1970 quand les habitants de cette région pétrolière (les Igbos) avaient voulu faire sécession face aux 2 autres ethnies dominant le Nigeria (les Yorubas du centre et de l’Ouest présents notamment dans la région de Lagos et les Haoussas du Nord).

Les Occidentaux avaient juste été choqué de voir des gosses en train de mourir de faim et avaient envoyé une aide d’urgence : c’était de cette époque des « french doctors » (comme Bernard Kouchner) que remontait cette pratique d’intervention humanitaire en Afrique -qu’on avait retrouvé plus tard en 1984-1985 en Éthiopie…

Le théâtre national de Lagos : un bâtiment en béton armé terminé en 1977 avec à l’arrière-plan la lagune qui représente le site dans lequel la ville s’est développée avec plusieurs îles.

Quel est le site initial de Lagos : des îles à l’entrée d’une lagune

On doit retenir le nom de deux « îles » : l‘île Lagos (qu’on voit sur la photo qui suit) et Victoria island (rappelons que le nom de Victoria est très logiquement présent dans de nombreuses régions qui ont été colonisées par le Royaume Uni au XIX e siècle puisque c’est le nom de la reine -également « Impératrice des Indes » qui y règne de 1837 à 1901on a ainsi en Afrique : les chutes Victoria, le lac Victoria).

Vue aérienne de l’île Lagos : à l’arrière-plan on distingue l’océan Atlantique tandis qu’on voit à gauche la lagune et à droite la passe qui mène à la mer et le port de commerce. La photo date de 2016

L’île Lagos a une superficie d’un peu plus de 200 km² et abrite aujourd’hui plus de 800 000 habitants. Sa partie occidentale abrite le sièges sociaux des banques. Si on regarde le plan de la ville coloniale en 1962 : c’est à l’époque le cœur de la ville de Lagos.

L’île Lagos en 1962 (cliquer ici pour l’agrandissement)

Victoria Island contrairement à son nom n’est aujourd’hui plus une île mais le bout occidental de la presqu’île de Lekki : des terrains ont en effet été gagnés sur la mer sur ce qui était initialement un bras de mer et ont permis de construire de habitations après avoir expulsé des populations pauvres qui vivaient dans des habitations en bois sur pilotis.

Le Civic centre sur Victoria island

Cette manière de gagner des terrains sur la mer (en anglais on parle de « land reclamation » c’est-à-dire de création de terre plein à usage industriel ou ici résidentiel s’est actuellement poursuivie à Eko, le nouveau quartier riche qui est en train de se construire au Sud-ouest du quartier de Victoria Island.

Un building flambant neuf de Victoria island avec le nouvelles tour d’Eko island à l’arrière-plan : une image du modernisme de Lagos

Eko Pearl Towers sur les terre-pleins gagnés sur la mer au Sud du pôle économique de Victoria Island (à l’arrière-plan on distingue la tour précédente de l’autre côté de la lagune)

Un site malcommode… ou pas ?

La ville de Lagos semble donc étrange à un Européen : elle se situe au niveau de la mer alors qu’on lui répète que le niveau de la mer est en train de monter !

Compte tenu de la situation en latitude (6° LN), on se trouve dans une région forestière : il pleut environ 1700 mm par an avec des précipitations plus importantes en été (car on a un climat tropical d’hémisphère nord) mais sans vraiment de mois sec.

Cela signifie que les habitants de la région sont habitués à cette ambiance climatique moite avec une température moyenne annuelle autour de 26°.

De manière très logique les habitants de ces zones marécageuses habitaient sur pilotis… une manière de se mettre en permanence à l’abri des averses.

Car dans une région plate, constamment humide même s’il y a des inondations c’est dans l’ordre des choses. Effectivement cette photographie d’août 2021 à Lagos après les grosses pluies de la saison des pluies ne montre que quelque chose d’assez habituel mais le journal belge d’où je l’ai tiré titre « Lagos, deuxième ville la plus peuplée d’Afrique, bientôt inhabitable? « Ce n’est qu’une question de temps« 

Et si je prends toute la citation du journal :

Entre mars et novembre, le Nigeria est submergé par la saison des pluies. Si cela n’a rien d’inhabituel, les experts s’inquiètent. A la mi-juillet, le principal quartier d’affaires de Lagos a été le plus touché par ce que les experts décrivent être « l’une des pires inondations de ces dernières années ». Mais ces inondations fréquentes ne sont que le signe avant-coureur d’un problème bien plus important. La ville de plus de 24 millions d’habitants pourrait bien devenir inhabitable d’ici la fin du siècle en raison de l’élévation du niveau de la mer, provoqué par le changement climatique. Définitivement submergée d’ici 2100 ?

à retrouver ici

Pour moi cet exemple est caractéristique de la manière dont les urbains des pays industrialisés développés reportent leurs peurs sur la situation des villes des pays en voie de développement.

Car cet article sur Lagos intervient après les spectaculaires inondations en Belgique à Liège en juillet 2021 qui elles sont inquiétante (voir l’article Adaptation et atténuation face au changement climatique : par où commencer ?)

Or que voit-on sur la photo précédente ? Une scène très habituelle en Afrique humide en saison des pluies : cela crée des ralentissements pour les automobilistes (dans des villes déjà toujours embouteillées). Quand on est piéton (c’est-à-dire pauvre)… soit on a des bottes, soit on a les pieds mouillés. Les voitures, les bus et les motos passent quand même mais au ralenti. Vu d’Europe c’est extrêmement dégoutant mais ce qui l’est encore plus c’est ce type d’image qui pourtant montre un habitat précaire à l’abri des pluies puisque sur pilotis

Le bidonville de Makoko sur la rive occidentale à 2 km du théatre national

Par le passé en 1990 les autorités nigerianes ont par exemple expulsé plus de 300 000 habitants d’un quartier pauvre situé à l’Est de Victoria island peuplé de minorités (celles qu’on trouve dans le delta du Niger) qui étaient mélangés aux Yorubas et qu’on a expulsé car le quartier était, disaient-il, menacé par la mer…

Pourtant quand on regarde la manière dont la ville s’organise on continue à rencontrer ce type de quartier de bidonvilles construits sur pilotis (ici c’est le quartier de Makoko).

La question plus importante que celle de la montée des eaux me semble, comme dans toutes les villes de la zone intertropicale en Afrique et en Asie de gérer les détritus, organiques et plastiques, de permettre un accès à l’eau potable, de trouver un moyen de lutte contre les moustiques porteur du paludisme ou de la dengue.

Quant à s’inquiéter pour 2100 cette idée me semble absurde.

Quand on sait ce qu’était Lagos en 1960 (une petite ville essentiellement située sur l’île de Lagos) et ce qu’elle est devenue aujourd’hui 60 ans plus tard (une immense agglomération), on a tout le temps d’ici 2100 de trouver comment habiter autrement…

Rappelons qu’à Lagos il n’y a pas de pente et pas de cyclones, juste de grosses averses tropicales.

La question du changement climatique et de ses conséquences sur nos manières d’habiter se posent à l’échelle locale et non mondiale. Effectivement à Liège en Belgique il est urgent de réfléchir à habiter autrement dès maintenant mais à Lagos on peut sans doute continuer à poursuivre ces grandes opérations d’urbanisme à Eko et plus à l’Est pour construire le futur grand port de Lekki.

Car le plus urgent à Lagos n’est pas la montée des eaux ou l’érosion littorale mais les risques sanitaires et qu’il y a à vivre dans une agglomération de près 24 millions d’habitants dans un tel climat tropical quand on est pauvre, le danger qu’il

Lagos par son attractivité économique attire les migrants de tous les coins du pays notamment les Igbos du delta.

L’extension de Lagos et la création de nouveaux équipements et de nouvelles zones d’activités

Le nouveau pont Leeki-Ikoyi ouvert en 2013; C’est un pont à péage avec toujours une file embouteillée (ici le matin la file qui vient de Lekki -banlieue résidentielle- et va vers le centre Ikoyi, Lagos island, Victoria Island et au-delà.

Ce que les Occidentaux qui n’ont jamais mis un pied dans une grande ville d’Afrique subsaharienne c’est que c’est un monde totalement inégalitaire dans lequel les riches circulent en voiture (aujourd’hui climatisée), habitent dans de beaux quartiers, de beaux immeubles ou de belles villas sécurisées tandis que les plus pauvres circulent à pied, utilisent des moyens de transport collectifs inconfortables et/ou surchargés, vivent dans des logements plus ou moins décents, les pire étant des bidonvilles en général bien situé au cœur de la ville dans les interstices d’un tissu urbain qui s’est développé de manière souvent anarchique.

On peut certes utiliser de grandes expressions savantes et écrire qu’il existe de profondes inégalités socio-spatiales dans Lagos entre les nouveaux quartiers en construction comme Eko (au sud de Victoria Island) ou Alaro city (près du futur aéroport de Lekki) et les quartiers de bidonville comme Makoko ou ces banlieues résidentielles pauvres qui s’étendent à perte de vue mais on peut aussi remarquer que quand les classes moyennes et supérieures s’approprient l’espace public pour pouvoir s’y promener ils sont suivis par les classes populaires qui font de même (c’est le cas à Paris ou dans les stations balnéaires) et que ce phénomène d’embellissement d’un espace public piétonnier et partagé contribue à créer un sentiment d’appartenance.

Or dans ces villes d’Afrique subsaharienne les écarts de revenus sont si considérables, le dénuement est si présent chez les plus pauvres que les riches désertent totalement l’espace public de la ville et se retranchent dans leurs espaces privés (gated communities, clubs…) .Dans ces conditions on a des quartiers riches et morts (personne pour y animer les rues) et des quartiers pauvres, moches, mal entretenus mais vivants.

Le port actuel de Lagos avec ses terminaux porte-conteneurs
La maquette du nouveau port de Lekki en construction avec son terminal porte-conteneurs ultra moderne, son terminal pétrolier, sa zone industrielle et sa zone résidentielle. Ce sera une zone franche.
L’expressway1 sur la rive sud de Lagos Island : une infrastructure non terminée : au milieu de la lagune une plate-forme de forage pétrolier et à l’arrière-plan le port

L’aéroport international de Lagos et son dédoublement ?

Lagos fait partie de ces métropoles bien reliées au reste du monde où l’aéroport international sert de « hub » et comme partout ailleurs dans le monde les aéroports internationaux des capitales se sont modernisés.

Le vieux terminal de l’aéroport de Lagos qui remonte aux années 1970

Les nouveaux bâtiments en fin de construction (mai 2019)

L’aéroport de Lagos porte le nom du général Murtala Muhammed, (1938-1976), originaire de Kano, Président de la République quand la junte militaire arrive au pouvoir en 1975 et assassiné en 1976. (Diplômé de l’académie militaire britannique de Sandhurst)

Il avait un trafic de 7,5 millions de passagers avant le Covid (ce qui est peu pour un pays aussi peuplé -c’est moins que l’aéroport d Nice-). Un nouveau terminal a été livré en 2022 portant sa capacité à 14 millions de passagers. Il est aussi beau et moderne que tous les grands aéroports du monde d’aujourd’hui récemment inaugurés notamment en Afrique (Dakar, Alger par exemple).

Il se trouve complètement enkysté dans le bâti au Nord-ouest de l’agglomération à Ikeja. Un projet est en cours de construction d’un 2e aéroport à Lekki à l’Est de l’agglomération près de la nouvelle zone industrialo-portuaire et résidentielle en construction.

On a ici la même problématique de déplacement de l’aéroport que dans d’autres métropoles comme Mumbai (voir l’article Mumbai : modernité, inégalités quelques jalons). Mais sur l’image satellite on voit déjà le début de la construction près d’Alaro City qui est presqu’à l’extrêmité orientale la Lekki–Epe Expressway (cette route de 50 km inaugurée en 2011 qui relie le centre de Lagos à ce nouveauquartier. C’est une belle route goudronnée à deux voies sur élevées (car elle traverse une zone de mangrove)

Le site de commercialisation d’Alaro city ici

Inauguration d’Alaro city en janvier 2019

Le site de commercialisation d’Alaro city ici

On a un projet du même genre que celui de l’Ecocité de Zenata à Casablanca (Maroc) mais en beaucoup plus luxueux et ambitieux (voir Grand Casablanca : l’éco cité de Zenata, un grand projet utopique ?) car les élites nigerianes sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus riches

Nollywood ?

Après Hollywood (à Los Angeles) et Bollywood (à Bombay -Mumbai), les journalistes ont développé le terme de Nollywood pour désigner l’industrie du cinéma nigérian qui est actuellement en plein essor.

On peut remarquer que comme le cinéma de Bollywood, ce cinéma nigerian ne touche que la population culturellement proche à savoir les Nigerians et leurs voisins (par exemple Ghanéens) ainsi que la diaspora nigeriane à travers le monde.

Ce cinéma s’est diffusé à travers la chaîne de télé Iroko TV née en 2011 et montée par un jeune Anglo-nigerian (aujourd’hui millionnaire) et aujourd’hui la plateforme américaine Netflix commence à s’y intéresser. Du fait de l’essor mondial extraordinaire des Smartphones ce secteur du divertissement à regarder sur un téléphone a progressé d’une manière spectaculaire.

Le marché est sans doute suffisant pour ne pas en chercher un autre hors de ce contexte culturel nigerian ou plus largement du golfe de Guinée

On peut donc se demander si ce phénomène de diffusion à travers le monde de séries TV qui se passent dans votre pays et mettent en scène des gens que vous pourriez croiser, sur des lieux que vous connaissez n’a pas déjà remplacé le système américain des années passées (initiée en Afrique par la série Dallas, déjà rentabilisée aux Etats-Unis a été diffusé en France (1980) puis en Afrique, offrant un univers stupéfiant de luxe et de trahison perçu comme caractéristique du monde occidental.

Conclusion ?

Ainsi quand on se contente de se promener via Google maps à la découverte de Lagos, on ne découvre rien de bien très original : juste une ville immense, très inégalitaire, où les pauvres cherchent à assurer leur subsistance quotidienne en vivant d’une économie informelle et de toutes les activités liée à une si forte concentration d’habitants et les classes moyennes émergentes et les riches recherchent le confort, le prestige, le luxe, l’argent et essaient de se préserver de tous les désagréments (notamment la violence) en vivant à l’écart (en hauteur dans des tours, loin du centre dans des quartiers neufs, enfermés dans leurs villas et leurs voitures).

3 réflexions sur “Lagos (Nigeria) : repérages

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