Le cyberespace et les câbles sous-marins : l’exemple de Penmarch

Penmarch est une petite localité bretonne qui se situe à la pointe sud du Finistère et possède un phare. Ce qui est moins connu c’est qu’elle devenue aujourd’hui un des nœuds majeurs de ces câbles marins qui font fonctionner Internet. Mais évoquer Penmarch permet également de faire une petite histoire de ces liaisons télécommunications entre l’Europe et les Etats-Unis.

Penmarch et son phare (le phare d’Eckmühl) à la pointe Sud de la Bretagne

Pourquoi Penmarch ?

On comprend cela assez aisément si on regarde une carte de Bretagne et qu’on réfléchit à l’endroit le mieux approprié pour poser un tel type de dispositif. L’idée est évidemment qu’on soit le plus près possible de l’autre côte, celle de l’Amérique du Nord mais également que cette activité ne vienne pas entraver d’autres activités stratégiques : le port militaire de Brest n’est donc adapté.

Les débuts de Penmarch : cable téléphonique Europe-Etats-Unis

C’est en 1959 qu’un premier câble téléphonique a été posé à Pors Carn. La photo qui suit représente la première équipe de techniciens de la station une Bretonne et de sa coiffe bigoudenne. La station a fêté ses 60 ans l’an passé en organisant une conférence rétrospective pour revenir sur ces progrès extraordinaires des télécommunications (voir ici)

Comme souvent le choix d’un lieu bien adapté pour implanter une activité nouvelle explique que, par la suite, disposant sur place de compétences pointues on continue à conserver ce site.

La suite des câbles en fibre optique

Le premier câble en fibre optique a été posé en 1988 entre Penmarch et les États-Unis

Aujourd’hui la station de Pors Carn est un nœud très important du réseau des câbles sous marins avec le passage du câble SEA-ME-WE 3 de 39 000 km qui relie la côte allemande (depuis Norden en Basse Saxe) jusqu’à l’Asie Orientale et l’Australie en passant par la Méditerranée, la Mer rouge) et qui existe depuis 2000 et le départ du cable ACE (Africa Coast to Europe) qui relie l’Europe à l’Afrique de l’Ouest depuis 2012 et fera 17 000 km de long

Les nœuds d’atterrissement du câble sous marin SEA-ME-WE-3. Le nœud de Penmarch est le n°4. Le N°1 est Norden en Allemagne, le N°2 Ostende en Belgique, le N°3 Gonhilly en Cornouailles (carte Wikipédia).

Carte du câble ACE qui relie l’Europe à l’Afrique tirée du site Facebook ACE (qui donne l’actualité de la pose de ce câble de 17000 km reliant 24 pays d’Afrique de l’Ouest). Le dernier tronçon de Sao Tomé et Principe à l’Afrique du Sud n’est pas encore posé. (voir sur le site). La page Facebook d’ACE offre de petites animations (surtout en anglais très pédagogiques notamment celle-ci)

A quoi ressemble précisément cette station de Penmarch ?

A rien semble-t-il ! Car quand on cherche sur Google maps où se trouve précisément le site, on ne le trouve pas ! Il y a bien une « route des câbles sous-marins » mais à proximité on ne voit que de petits pavillons et on ne trouve pas l’endroit… comme si tout était fait pour qu’il reste le plus discret possible. Tant mieux ! Comme cela les ignorants-malveillants du monde d’aujourd’hui ne peuvent rien apprendre depuis leur ordinateur et n’ont pas l’idée de se rendre dans des endroits dont ils ne soupçonnent même pas l’existence. Les vrais espions, quoiqu’il arrive, continueront de fouiner !

Le radôme de Pleumeu-Bodou

A l’inverse il existe à la pointe de la Bretagne et celle de Cornouailles (au Sud-Est de l’Angleterre) deux localités qui ont également été les pionnières en matière de télécommunication mais cette fois par satellite. C’est le cas en Bretagne de Pleumeur-Bodou qui permet en 1962 la première émission en mondiovision via le satellite Telstar. De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, une station similaire se trouve dans le Maine.

De l’autre côté de la Manche à Gonhilly en Cornouailles une autre station est conçue sur le même modèle que Pleumeur-Bodou. C’est notamment grâce à elle que nous avons pu voir en 1969 les images d’Armstrong sur la lune !

Le radôme de Pleumeur-Bodou (aujourd’hui parc d’attraction). Ce « radôme » protège des intempéries le radar qui est installé dessous.

Mais la station de télécommunications de Pleumeur-Bodou qui s’était considérablement développée depuis les années 1960 a fermé définitivement en 2003 : la concurrence de la fibre optique la rend inutile. Les installations historiques du radôme ont été reconverties en parc d’attraction : voir ici le site officiel de ce parc avec un film de 44 mn qui explique bien l’historique (grâce à des témoins, ingénieurs, techniciens…).

L’enceinte sécurisée de la station de télécommunications de Gonhilly en Cornouaille

Par contre Gonhilly en Angleterre (à une cinquantaine de kilomètres à l’Est du port de Plymouth) demeure une station importante car c’est à la fois une station satellite et un relais du câble sous-marin. Très logiquement comme elle est bien visible par satellite, cette station se trouve dans une enceinte grillagée hautement sécurisée où, éparpillées dans la lande, se trouvent une trentaine d’antennes satellites et quelques bâtiments avec des panneaux solaires. Voici le site officiel de cette station : ici. On constate qu’il y a apparemment peu d’emplois sur un tel site (une trentaine seulement ?) Parallèlement le site s’est ouvert aux visites touristiques.

Pourquoi parler de ces histoires de câbles et de satellites et notamment de parler d’époques révolues ?

Parce qu’aujourd’hui 99 % des informations qui circulent sur Internet passe par des câbles sous-marins et seulement 1 % des liaisons sont assurées par satellites. Par conséquent ce secteur du câble sous-marin est particulièrement important, c’est sur cette base matérielle que repose tout le réseau Internet. On comprend donc que les fabricants et poseurs de ces câbles sont des acteurs très importants du monde d’aujourd’hui (tout comme les fabricants de semi-conducteurs dont nous avons parlé dans un précédent article).

Mais qui sont-ils ? En cherchant l’article le plus intéressant, le plus accessible et le plus à jour que j’ai trouvé est tiré d’un site en français intitulé MTI Review (j’ai bien écrit MTI et non MIT) : il s’agit d’un Master de la Technologie et de l’Innovation de l’Université de Paris Dauphine (laquelle appartient aujourd’hui à l’Université PSL (Paris Sciences Lettres -dont nous avons parlé dans un précédent article). L’auteur est un étudiant Hugo Marck et l’article intitulé « 1 100 000 km² sous les mers » date de 2018.

J’en ai tiré ce camembert qui représente les principaux poseurs de câbles dans le monde d’aujourd’hui (on a également des entreprises -pas tout à fait les mêmes chargées de les « upgrader » c’est à dire de les faire monter en puissance)

On y voit 3 acteurs majeurs : le français ASN (Alcatel Submarine Network) qui tient presque la moitié de ce marché de niche (46 %), suivi de l’américain TE Subcom (30 %) et le japonais NEC (12 %).

A noter qu’ASN est une filiale du groupe finlandais Nokia Networks qui emploie plus de 150 000 personnes à travers le monde. A la tête de ce groupe se trouvait depuis 2014 (date laquelle le groupe Nokia a vendu son secteur de téléphonie mobile à Motorola pour se spécialiser sur les réseaux) et jusqu’en août 2020, un Indien Rajeev Suri qui a la nationalité singapourienne, a fait ses études au « MIT » le « Manipul Institute of Technology » un établissement indépendant situé dans le Sud de l’Inde sur la côte du Karnakata.

Ce groupe a racheté en 2016 le groupe Alcatel-Lucent, qui lui même résultait d’une fusion en 2006 entre le Français Alcatel et l’Américain Lucent Technologies (qui lui lui-même était né en 1996 d’une fusion de Bell Labs et de Western Electric).

On voit ainsi que dans ce secteur des nouvelles technologies (comme dans les autres secteurs économiques), les restructurations ont été considérables ces 15 dernières années : ainsi le leader du téléphone Mobile, Nokia a disparu sur ce créneau dépassé par les fabricants qui avaient misé sur le smartphone (Apple et son Iphone, Samsung et maintenant Huawei) mais Nokia a misé sur un secteur moins grand public mais stratégique et contrôle la principale filiale de pose de câbles rachetée à Alcatel-Lucent.