L’enjeu de la connaissance : l’exemple des Universités allemandes

Pour un Français ou plus largement un non-Allemand qui chercherait à partir dans le programme d’échanges universitaires « Erasmus + », la carte des Universités allemandes n’est pas claire parce qu’à vrai dire il n’a pas fait assez de géographie de l’Allemagne et n’arrive pas à comprendre le système non centralisé de cet État fédéral dont les Universités les plus cotées, les plus prestigieuses se trouvent parfois dans de petites villes dont il ne connaît ni le nom, ni l’histoire, ni la localisation sur la carte. Au moins dans les autres pays membres de l’U.E. il connaît (peut-être) le nom de la capitale et elle est souvent un peu plus peuplée que les villes universitaires allemandes (c’est le cas de Varsovie, Vienne, Prague ou Budapest)

Pourtant, aller passer un semestre dans une petite ville Universitaire allemande bien organisée pour les étudiants plutôt qu’à Berlin ou dans la capitale d’un État plus éloigné qui risque d’être une grande ville cosmopolite où ne parlera qu’anglais n’est peut-être pas une mauvaise idée…

Les bâtiments de l’Université Libre de Berlin qui a été fondée en 1948 dans Berlin-Ouest puisque l’Université historique (Université Humboldt se trouvait à Berlin-Est). Comme elle est récente à l’échelle de l’Europe, peu de ses anciens étudiants et professeurs sont connus à l’étranger. Elle compte environ 37000 étudiants aujourd’hui et est largement ouverte à l’international parce que Berlin est aujourd’hui devenue une ville attractive.

Voici la carte proposée des Universités sur le site en français « deutschland.de. » Attention il ne s’agit que des Universités classées comme « Universités d’excellence » en fonction de leur recherche et notamment dans le domaine scientifique et technique (c’est surtout sur ce plan qu’on peut attirer des étudiants étrangers à la fois européens et du reste du monde). Car dans des domaines littéraires ou de sciences humaines la connaissance de l’allemand est incontournable. Cette carte survalorise donc les établissements d’enseignement supérieur tournés vers les sciences, n’en met qu’une partie (puisqu’on recense 442 établissement d’enseignement supérieur en Allemagne -notamment beaucoup de dispositifs en alternance de formation professionnelle-). On aurait aimé une carte montrant les effectifs et la nature de ces Universités… Elle est à fabriquer…

Mais à vrai dire il existe déjà une liste de 442 établissements d’enseignement supérieur de différentes catégories (qu’on retrouve sur la version allemande de wikipédia « liste der Hochschulen in Deutschlan »ici (mais comme d’habitude, dans les listes de Wikipédia, on a un classement par ordre alphabétique qui met tout sur le même plan).

Or si on ne comprend pas le contexte politique, géographique et économique dans lequel se sont mises en place ces établissements d’enseignement supérieur, cette liste est aussi confuse que l’immensité des choix sur Parcoursup

Comment comprendre la manière dont les Universités allemandes se sont développées ?

Mais si on comprend qu’une Université, dans cette Europe centrale de langue allemande en partie passée au protestantisme au XVIe (mais restée en partie catholique, notamment dans le Sud) est une institution initialement religieuse (où, en plus, de la théologie -protestante ou catholique- on étude le droit et les lettres puis les sciences comme dans les Universités fondées depuis le Moyen Âge (Bologne, Sorbonne à Paris, Oxford et Cambridge, Prague) puis est le fait du prince (qu’il soit Empereur, rois, duc, margrave…) notamment quand il s’agit de se démarquer de son voisin qui a choisi une autre confession, on comprend alors que le noyau actuel des plus grandes Universités allemandes soit constitué d’institutions aujourd’hui publiques (à l’inverse du système américain) et que la très grande offre récente de formations supérieures privées soit,comme en France (pour ce qui est de la prolifération d’écoles supérieures aux sigles compliquées et inconnues) quelque chose de plus récent et de moindre valeur a priori.

Par ailleurs, l’unification des États allemands après 1848, achevée en 1871 va renforcer le poids de la capitale Berlin (qui historiquement n’est pas grand chose avant le XVIIIe siècle, date à laquelle où elle devient le cœur du royaume de Prusse (autour duquel se forge l’Unité allemande au XIXe).

Mais cette capitale est un peu excentrée et située au cœur d’une région peu peuplée (le Brandebourg) par rapport aux régions rhénanes ou à la Saxe plus à l’Est. De plus la coupure des 2 Allemagne entre 1949 et 1990 nuit au rayonnement de Berlin.

Par ailleurs l’essor scientifique et industriel de l’Allemagne au cours du XIXe siècle mais surtout à la fin de siècle avec un essor considérable de la chimie, de la métallurgie (les débuts de l’automobile) profite à des institutions scientifiques et techniques d’importance. Ce sont surtout elle qui sont valorisées aujourd’hui dans les classements internationaux.

Il faut enfin se rappeler que les changements de frontière après 1945 ont fait disparaître de grandes Universités allemandes : celle de Koenigsberg en Prusse Orientale fondée en 1544 qui est l’Université du philosophe Kant (1724-1804). On l’appelle familièrement Albertina (car son fondateur est le Grand Maitre des Chevaliers Teutoniques Albert de Brandebourg qui s’est converti au luthérianisme) et elle ferme en juillet 1944 au moment de l’offensive soviétique ; la ville devient ensuite soviétique, sa population allemande est expulsée et elle est rebaptisée Kaliningrad (voir L’enclave russe de Kaliningrad : une originalité géopolitique et culturelle au cœur de l’Union Européenne ?)

C’est aussi le cas de l’Université de la ville de Breslau (qui se trouve aujourd’hui en Pologne et qu’on appelle Wroclaw) et remonte à 1702. Elle est fondée par Léopold Ier de Habsbourg- : c’est donc une Université catholique (familièrement la Leopoldina) qui au début du XIX e siècle (1811) a fusionné avec l’Université protestante de Francfort/Oder (située un peu plus loin à l’Ouest et devenue largement inutile du fait du développement de celle de Berlin (née en 1809).

Le cas de Berlin : Université Humboldt (1809), Université libre (1948), Charité et TU (Technische Universität)

L’Université Humboldt de Berlin (fondée en 1809) a des bâtiments plus austère et qui semblent « anciens » (mais attention on ne doit jamais oublier que cette partie d’Europe a été dévastée pendant la Seconde Guerre mondiale et que parfois on a reconstruit dans le style antérieur quand il s’agissait de bâtiment symboliquement importantsce qui est le cas de cette Université qui est « l’Alma Mater Berolinensis » (université mère de Berlin) fondée au début du XIX e siècle

Logo de l’Universität Humboldt zu Berlin

Elle est fondée par un linguiste prussien (Wilhelm von Humboldt (1767-1835). Originaire d’une grande famille noble, il a étudié à Francfort/Oder puis à Göttingen avec son frère cadet le naturaliste Alexandre von Humboldt (1769-1859) qui y enseigne au retour de ses expéditions scientifiques et de sa vie à Paris (d’où le double logo des 2 frères ; celui qui a la perruque est celui qui est mort le premier, le changement de coiffure au XIX e siècle et l’abandon des perruques marque un passage vers la modernité.

Mais elle se trouve à Berlin-Est en RDA pendant la Guerre Froide d’où la création de l’Université libre de Berlin (1948) (photographie en début d’article).

Une institution historique joue un rôle majeur comme hôpital d’application des 2 facultés de médecine des Universités : la « Charité »

Hôpital universitaire de la Charité à Berlin (vieux bâtiments en brique et grande tour moderne). Hôpital fondé en 1710 par Frédéric Ier de Prusse. Cet hôpital est associé à la figure de Robert Koch (1843-1910) prix Nobel en 1905 pour la découverte du bacille de la tuberculose. Il abrite 18 000 étudiants environ. Comme il se situait au milieu de la ville à Berlin-Est on y a construit une grande tour de 65 m terminée en 1982, elle a été entièrement rénovée en 2016)

Un série télévisée Charité en 3 saisons est sortie en 2017, 2019 et 2021 et a rencontré un grand succès populaire car à travers 3 période (XIXe, Seconde Guerre mondiale, Guerre Froide, elle évoque à la fois l’histoire de la médecine et de cette ville de Berlin).

Par ailleurs se développe à Berlin une Université Technique à partir de 1879

Université Technique de Berlin (Technische Universität Berlin) quartier de Charlottenbourg -ex Berlin Ouest).

On comprend pourquoi avec la modernisation de l’Allemagne, l’ascension de la ville de Berlin dans le courant du XIX e siècle, cette Université soit associée à un certain nombre de philosophes (comme Hegel (1770-1831) -qui enseigne à Heidelberg puis à Berlin-, de scientifiques (comme Max Planck (1858-1947) qui y est professeur pendant 40 ans, prix Nobel en 1918 et Einstein (1879-1955) prix Nobel (1921) (qui n’y est pas professeur mais vit à Berlin d’où il émigre pour les Etats-Unis en 1933) ou d’hommes politiques comme le Chancelier Bismarck (1815-1898) -qui commence des études de droit à Göttingen à 16 ans et les poursuit à 17 dans la jeune université berlinoise- ou Karl Marx (1818-1883) -qui commence ses études à Bonn et continue à Berlin-.

Symboliquement en 1991 on a recréé une Université à Francfort/Oder (Europa-Universität Viadrina Frankfurt (Oder) qui avait disparu lors du transfert à Breslau et qui pourtant remontait à 1504. Son nom latin Viadrina est le nom par lequel on désigne l’Oder ce fleuve qui depuis 1945 marque la frontière (aujourd’hui acceptée entre l’Allemagne et la Pologne -voir La frontière germano-polonaise : une frontière en débat ?). C’est une petite université (6400 étudiants avec 40 % d’étrangers -notamment beaucoup de Polonais, sans fac de médecine).

Francfort/Oder

Les plus vieilles Universités ne sont pas non plus dans les plus grandes villes comme Hambourg (elle ne date que de 1919 parce qu’Hambourg est une ville marchande) ou Munich (où l’Université fondée au milieu du XVIIIe à Ingolstadt sur le Danube est déplacée en 1826).

La page d’accueil de l’Université de Hambourg (en anglais et en allemand) ici qui insiste sur la dimension écologique (c’est un thème majeur en Allemagne).

Mais à vrai dire voilà le bâtiment historique de cette Université de Hambourg

Le bâtiment historique de l’Université de Hambourg fondée en 1919. Elle accueille 44000 étudiants (C’est une grosse Université polyvalente avec une Faculté de médecine et des laboratoires de recherche
Audimax de l’Université de Hambourg (1700 places -2005)

Cette Université de Hambourg a vu un afflux massif après guerre de populations déplacées venues de territoires devenus soviétiques ou polonais, d’Allemands chassés de pays d’Europe centrale (Tchécoslovaquie…) et de ressortissants qui ont fui la RDA. Elle a dû progressivement se doter de nouveaux bâtiments.

L’Université de Munich ( Louis-et-Maximilien) (1826) transférée à cette époque depuis la petite ville d’Ingolstadt (petite ville sur le Danube) où elle avait fondée en 1472 et dissoute en 1800

Une offre de villes universitaires très différentes par leur passé : un exemple le Bade-Wurtemberg

L’Université de Heidelberg est la plus ancienne et la plus réputée du Bade-Wurtemberg… Elle a été fondée en 1386 par l’électeur palatin (c’est-à-dire le comte qui dirige le Palatinat et est l’un des 7 électeurs pour le titre d’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique). Son nom latin est Ruperta Carola.

La « vieille Université de Heidelberg dont les bâtiments remontent au début du XVIIIe siècle parce qu’Heidelberg souffre cruellement de la Guerre de Trente Ans puis est ravagée par les troupes de Louis XIV (qui détruisent son palais en haut de la colline -il est toujours en ruines. Ultérieurement Napoléon donne cette ville au duché de Bade. C’est seulement dans les années 1930 qu’une nouvelle Université y reconstruite.

Aujourd’hui cela reste une grande Université réputée 28 000 étudiants notamment dans le domaine de la médecine.

A l’inverse l’Université de Constance est une création récente dans un environnement charmant (lac de Constance transfrontalier avec la Suisse et l’Autriche, forêt).

L’Université de Constance dans le Bade-Wurtemberg à la frontière suisse au Sud du pays (au bord du lac du même nom), une jeune Université fondée seulement en 1966 avec un peu plus de 10 000 étudiants dans une ville de 85 000 habitants

Mais à vrai dire l’autre grande ville universitaire de Baden-Wurtemberg est ailleurs, à Fribourg-en-Brisgau (une vieille ville universitaire située en face de la frontière française au pied de la Forêt Noire dans une région agricole très riche -siège d’un archevêché-

On y a aujourd’hui une agglomération de 230 000 habitants et une Université qui remonte au XVe siècle (1457) (un siècle après celle de Heidelberg).

Le site officiel de cette université ici (il n’est qu’en allemand et en anglais). Le designer a eu la bêtise (?) de faire un truc qui se veut moderne (surtout pas d’écriture gothique) mais qui rend ce titre assez incompréhensible en écrivant « universitätfreiburg » en un seul mot et sans majuscules or l’allemand est une langue qui met des majuscules à la fois aux noms propres (Freiburg) et aux noms communs (Universität) et colle les mots alors que l’anglais met des majuscules aux institutions et aux titres mais sinon uniquement aux noms propres.

(Attention à ne mélanger cette ville allemande dont le nom est francisé (parce que nous avons des liens nombreux et historiques et donc que le nom a été traduit en français comme celui de très nombreuses villes allemandes). Cela signifie juste « ville libre » (sous entendu ville marchande avec sa charte de liberté) avec Fribourg en Suisse -une petite ville francophone de 110 000 habitants dans l’agglomération qui a aussi une Université fondée elle à la fin du XIX e siècle !-)

La précocité de cette Université de Fribourg-en-Brisgau vient du fait que cette région dépendait des Habsbourg et que c’est la deuxième université fondée par les Habsbourg (par l’archiduc Albert d’où le nom actuel d’Université Albert-Ludwigs de Fribourg – Albert-Ludwigs-Universität Freiburg– après celle de Vienne (1365) (mais rappelons que l’Université Charles de Prague en Bohême est encore plus ancienne (1348) -voir l’article La Tchéquie : quelques repérages historiques, géographiques et culturels

Donc, avant même la réforme de Luther, Fribourg est l’Université allemande qui rayonne sur l’Alsace, la Suisse et le Sud de l’Allemagne. Aujourd’hui c’est une Université d’environ 25 000 étudiants qui rayonne toujours et s’est alliée dans le cadre de l’U.E à celles de Strasbourg, de Mulhouse, de Karlsruhe et la toute jeune Université du Luxembourg dans le projet Eucor-Le campus européen (voir l’article Interreg et les régions transfrontalières de l’Union Européenne : un peu de repérage).

Les deux plus célèbres professeurs et étudiants de cette Université de Fribourg-en-Brisgau sont le philosophe Martin Heidegger (1889-1976) qui est y est étudiant puis professeur (il a d’abord enseigné à l’Université de Marbourg avant de revenir à Fribourg) et la philosophe Hannah Arendt (1906-1975) qui est son étudiante à Marbourg puis va étudier à Fribourg et Heidelberg (avant d’émigrer en France en 1933 puis aux Etats-Unis en 1941 parce qu’elle est juive).

Marbourg et Giessen : deux villes universitaires inconnues de la Hesse

La Hesse est ce Land dont la plus grande ville est Francfort/Main mais la capitale est une ville peu connue, Wiesbaden plus petite, située près de la confluence du Rhin et du Main sur la rive droite du Rhin (tandis que sur le rive gauche se trouve l’évêché de Mayence -Mainz en allemand avec un z- qui est la capitale du Land voisin de Rhénanie-Palatinat)

La petite ville de Marbourg dans la Hesse (78 000 habitants) a également une université (au départ protestante) qui est la première université protestante (fondée en en 1527) par le duc Philippe Landgrave de Hesse d’où son son nom de Philipps-Universität– Elle est devenue calviniste ce qui a poussé au début du XVIIe siècle à la création d’une Université très proche géographiquement à Giessen par le nouveau margrave de Hesse resté luthérien
Université de Giessen (Justus-Liebig Universität Giessen) dans la Hesse à 25 km de Marbourg, fondée en 1607 par le Landgrave de Hesse qui s’appelle Louis V (d’où l’inscription en latin academia ludoviciana et les dates 1607 et 1869 -date du bâtiment- Elle compte aujourd’hui 28 000 étudiants et tire son nom de Justus Liebig (1803-1873) qui est un grand chimiste du XIX e siècle qui a enseigné dans cette Université et a inventé notamment un procédé chimique d’extrait de viande alimentaire qu’il fait breveter et qui est à l’origine aujourd’hui de soupes instantanées – notamment d’une marque française qui a récupéré son nom).

Heidelberg et le Palatinat

Il faut donc peut-être se méfier des classements internationaux comme le classement de Shanghai (voir Le « classement de Shanghai » : une petite étude critique de document) qui du point de vue d’un étudiant n’a pas forcément un grand intérêt sauf s’il est en 3e cycle recherche en science et vient déjà d’un établissement très prestigieux.

Pour le reste un étudiant « ordinaire » de premier cycle (Licence) ou de 2e cycle (Master) doit juste trouver un lieu qui l’accepte, où il va apprendre des choses intéressantes, dans une ambiance sympathique, rencontrer des Allemands -et pas seulement faire la fête avec d’autres étrangers cela il peut le faire en vacances sur les plages méditerranéennes l’été !-, système où il est correctement encadré (ce qui est rarement le cas en France puisque nos Universités publiques ont peu de moyens -accueillent trop d’étudiants sans vérifier vraiment leur niveau et leur réelle motivation, sans enseignants formés et en nombre suffisant-) parce qu’il va devoir étudier dans une langue étrangère (en allemand ou en anglais).

Bayreuth

Château d’Erlangen (siège de l’Université de Nüremberg)

3 réflexions sur “L’enjeu de la connaissance : l’exemple des Universités allemandes

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