Connaître l’Australie d’hier et d’aujourd’hui ?

 L’ Australie d’hier et d’aujourd’hui

Une petite synthèse qui oscille entre exposé académique et petites digressions… et permet de comprendre la nouvelle La tombe d’Isabella

 L’Australie est un État-continent qui fascine beaucoup les jeunes Européens en raison de son éloignement, de son immensité, de ses étonnants Aborigènes capables de chasser avec un boomerang et de l’étrangeté de sa flore endémique : où trouve-t-on au monde des espèces aussi curieuses que les kangourous, les koalas ou les ornithorynques ? Mais aussi des ravages aussi catastrophiques que ceux que provoquent les espèces importées (lapins, chameaux…) Absente de nos programmes scolaires l’Australie représente un univers imaginé sur lequel nous savons au final peu de choses.

L’Australie d’aujourd’hui est un pays industrialisé et développé, fort d’une population de seulement 24,5 millions d’habitants (2017) pour une superficie de 7,7 millions de km² (ce qui le place, pour la taille, au 6e rang après la Russie, le Canada, les États-Unis, la Chine et le Brésil).

Cette population est à plus de 90 % urbaine et se concentre dans quelques grandes villes littorales : Sydney, Melbourne -sa rivale- (sur la côte sud-est), Adélaïde (au sud) et Brisbane sur la côte nord-est auxquelles s’ajoutent quelques rares autres villes d’un rang plus modeste : Canberra la capitale fédérale entre Sydney et Melbourne, Darwin (au nord-ouest), Perth (au sud-ouest) et Alice Springs (au cœur du pays).

Carte des Etats AustraliensUne carte d’Australie qui comme la plupart des cartes qu’on trouve sur Internet (ici l’article de Wikipédia) ne présente pas d’échelle ! La distance Melbourne-Sydney est approximativement de 1 000 km, celle entre Melbourne et le golfe de Carpentarie (sud-nord) d’environ 2 800 km

La découverte de l’Australie par les Européens

C’est au XVIIe siècle que les Européens découvrent ce qu’on appelle aujourd’hui Australie. Or, à cette époque, ce sont les Provinces Unies (les actuels Pays Bas) qui sont la puissance économique dominante (Ils ont succédé à l’Espagne et au Portugal qui ont été les puissances économiques dominantes du XVIe). Ce sont eux qui naviguent dans ces parages (voir l’article Le XVIIe siècle : siècle des Provinces Unies et de la VOC).

Le littoral nord-ouest de ce territoire est donc décrit dès le milieu du XVIIe par un navigateur hollandais, Abel Tasman, et cette terre désignée comme « Nouvelle-Hollande ». Tasman découvre également l’île méridionale qui porte aujourd’hui son nom (Tasmanie).

Mais c’est seulement au XVIIIe siècle que les Européens s’intéressent vraiment à cette région. Le navigateur britannique James Cook est envoyé à la recherche d’un continent austral et lors de son premier voyage, en 1770, mouille à Botany Bay, à l’emplacement de ce qui va devenir plus tard la ville de Sydney.

L’Australie est alors peuplée depuis plus de 40 000 ans par des Aborigènes, peuples de chasseurs-cueilleurs parfaitement adaptés à des milieux si contrastés et aux deux tiers désertiques (notamment dans le centre et l’ouest de l’Australie).

Pour les anthropologues, les Aborigènes sont arrivés en Australie à une époque fort lointaine au cours de laquelle le niveau de la mer était beaucoup plus bas (de 150 m au dessous du niveau actuel du fait des glaciations) si bien que l’Australie était reliée à la Nouvelle-Guinée formant un vaste ensemble appelé Sahul.

Par la suite, quand le niveau de la mer a remonté après la fonte des glaces, les Aborigènes ont vécu sans beaucoup de contact avec le monde extérieur, si ce n’est le monde mélanésien, de part et d’autre du détroit de Torrès (ce détroit qui se trouve entre l’Australie et l’île de Nouvelle Guinée), demeurant à l’âge de pierre sans développer de technologie plus élaborée que leurs outils de chasse (arcs, flèches, boomerangs).

Les Britanniques, en entrant en contact avec eux au XVIII e siècle puis de manière encore plus importante au XIX e siècle avec la colonisation complète de l’Australie, les considèrent comme des être à la fois physiquement très laids, frustes et n’étant pas entrés dans l’Histoire… méprisables en un mot.

L’immigration européenne en Australie au XIX e siècle et la constitution de la colonie

La colonisation britannique démarre en 1788 par la fondation d’un camp pénitentiaire à Port Jackson (qui deviendra Sydney). Les débuts sont très difficiles (famine, relations compliquées avec les Aborigènes à qui on vend de l’alcool). On y retrouve en 1808 comme, gouverneur militaire, le fameux capitaine Bligh (Le même qui, vingt ans plus tôt, capitaine de la Bounty, victime d’une mutinerie, avait été abandonné dans un canot de sauvetage au milieu du Pacifique -avec ses instruments de navigation !- et avait, malgré tout, réussi à survivre et rejoindre Timor distante de juste 3 600 miles marins !)

Cette fois-ci il est victime de la seule rébellion de toute l’histoire de l’Australie… dite rébellion du rhum ! Le corps d’infanterie installé sur place le New South Wales Corps, se fait de substantiels bénéfices dans le trafic d’alcool qui sert de monnaie d’échange.

Bligh a l’intention d’y mettre fin. Il est arrêté par le New South Wales Corps et reste emprisonné un an ! A sa suite le gouverneur suivant (le général Macquarie qui reste de 1810 à 1821) organise cette colonie pénitentiaire de Nouvelles-Galles du Sud, permettant aux bagnards ayant terminé leur peine de s’installer. La colonie commence à exporter de la laine. Un Parlement est mis en place dès 1824.

Une autre colonie est créée en 1803 en Tasmanie puis progressivement la colonisation se développe et l’Australie se divise en plusieurs colonies. L’Australie-Méridionale est créée en 1836 avec Adélaïde comme capitale : il s’agit dès le départ d’une colonie libre –sous entendu qui n’abrite aucun bagnard- ; plus tard le Victoria est créé en 1851 également colonie libre (capitale Melbourne qui devient la capitale de l’Australie tout entière) puis le Territoire du Nord en 1863. Il reste à l’ouest l’Australie Occidentale et l’on a dès la fin du XIX e siècle le découpage actuel des provinces.

L’exploration et la mise en valeur du pays

L’exploration du pays est difficile compte tenu de l’aridité d’une grande partie du territoire et des distances considérables. La plus célèbre des expéditions est celle menée en 1861 du sud au nord (2 800 km) par Burke et Wills, depuis Melbourne au sud jusqu’au golfe de Carpentarie  qu’ils atteignent au bout de sept mois. Partis à 19 hommes avec 23 chevaux et 26 chameaux, ils meurent d’épuisement et de maladie sur le chemin du retour en juin 1862 sauf un des membres de l’expédition qui est soigné par des Aborigènes et retrouvé en septembre par une expédition de recherches.

Journey Burke and Wills

Cet ouvrage est présenté en détails sur le site (en anglais) Ouvrage sur l’exploration de l’intérieur de l’Australie

Depuis les années 1840 des dromadaires et de chameaux ont été introduits dans le pays : ils semblent suffisamment robustes pour résister aux conditions très dures du « bush » (c’est ainsi qu’on désigne la végétation de ces régions semi-arides et par extension ces régions elles-mêmes qui constituent l’intérieur du pays). Les camélidés serviront à assurer le transport des marchandises. Malheureusement le développement des chemins de fer puis, plus tardivement, des camions les rend totalement inutiles. Ils sont alors relâchés dans le bush. Faute de prédateurs ils y ont proliféré au point qu’on estime leur nombre actuel à plus d’un million.

Les années 1850 et 1860 sont l’époque de la ruée vers l’or vers la région de Melbourne et entraînent un afflux considérable de la population

Malgré une économie fortement rurale (avec d’immenses domaines d’élevage dans le bush), la population australienne est fortement urbaine, se concentrant surtout dans les villes de Melbourne et de Sydney qui se dotent d’institutions culturelles (théâtres, bibliothèques, Universités).

En 1901 l’Australie devient un dominion de l’Empire britannique. C’est un État fédéral et une nouvelle capitale est créée à Canberra en 1908 à 300 kilomètres au sud-ouest de Sydney et à 700 km au nord-est de Melbourne avec un parlement, un gouvernement. C’est l’un des premiers pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes la même année. (Mais il faudra attendre 1962 pour que les Aborigènes aient le droit de vote).

Les deux guerres et la naissance d’un sentiment national

Dès le début de la Première Guerre mondiale, l’Australie qui compte alors 5 millions d’habitants participe aux combats aux côtés du Royaume uni envoyant plus 400 000 hommes. Les Australiens se battent notamment à Gallipoli dans les Dardanelles en 1915 qui est leur baptême du feu : c’est une sanglante défaite face aux Turcs commémorée chaque année par l’Anzac Day (Anzac signifiant Australian and New Zealand Army Corps, c’est-à-dire Corps d’armée australien et néo-zélandais). Les Australiens se battent également dans la Somme en 1916. Ils comptent 60 000 morts.

Cimestière West Terrace carré militaire

Carré militaire de la première Guerre mondiale,  cimetière de West Terrace à Adelaïde

Après la guerre, le transport aérien commence à se développer en Australie. La compagnie Qantas est créée dès 1920. L’Australie souffre très fortement pendant les années 1930 de la crise économique mondiale et de la réduction du commerce international qui en découle.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Australiens à nouveau participent aux opérations militaires notamment en Afrique du Nord face à l’Afrika Korps. Mais leur territoire est aussi menacé par la poussée japonaise : certaines villes du nord sont bombardées notamment Darwin. À partir de là les Australiens vont également participer à des opérations dans le Pacifique aux côtés des Américains qui installent leur quartier général à Melbourne.

L’Australie contemporaine : immigration, prospérité et boom minier

Après 1945 l’immigration reprend de plus belle en Australie. Ce ne sont pas seulement des Britanniques mais aussi des immigrants méditerranéens (notamment Grecs, très nombreux à Melbourne). Ce n’est qu’en 1967 qu’un référendum accorde aux Aborigènes leur intégration dans la population.

Depuis la fin de la Guerre Froide (1991) et la réintégration d’Hong-Kong à la Chine (1997), l’immigration vers l’Australie s’est beaucoup diversifiée avec l’arrivée de migrants venus d’Europe orientale, de Russie ainsi que de Chine.

Actuellement l’Australie poursuit sa croissance, en partie grâce au boom minier avec d’immenses mines à ciel ouvert (notamment de bauxite ou de latérites nickélifères), aux échanges avec l’Asie orientale notamment la Chine.

Le sort des Aborigènes : la question des « générations volées »

À l’arrivée des Européens, les Aborigènes étaient estimés à environ 350 000 personnes répartis sur tout le territoire. Leur sort avec l’essor de la colonisation va être dramatique : refoulés sur des terres plus arides ; employés comme main-d’œuvre dans les immenses domaines du bush ; rongés par l’alcoolisme.

Un épisode qui a été récemment mis en lumière est celui des « générations volées » : ces petits métis aborigènes, enfants naturels enlevés à leur mère aborigène dans les réserves et envoyés dans des orphelinats australiens pour être éduqués comme des blancs. Dès 1869 une loi a permis de saisir les métis et elle a été appliquée jusqu’en 1969. Ainsi en 1930 le Protecteur en Chef des Aborigènes d’Australie occidentale, écrivait dans un article pour The West Australian : « Éliminons les Aborigènes pur-sang et permettons la mixture des métis parmi les Blancs, et peu à peu la race deviendra blanche. »

Un rapport gouvernemental est d’abord remis en 1997 au gouvernement : il est accablant pour les autorités australiennes dont l’objectif était l’éradication progressive des Aborigènes.

L’année suivante une journée du pardon (National Sorry Day) est organisée dans le but de promouvoir une réconciliation nationale.

L’allumage de la flamme olympique par l’athlète aborigène Cathy Freemann aux Jeux de Sydney en 2000 puis sa victoire sur 400 m sont un nouvel élément de réconciliation.

Le film Le Chemin de la liberté (en anglais Rabbit-Proof Fence c’est-à-dire la barrière anti-lapins) de l’Australien Phillip Noyce sorti en 2002 fait connaître cet épisode à un public hors d’Australie. Il est adapté d’un récit de Doris Pilkington, Follow the Rabbit-Proof Fence où elle raconte l’enfance de sa mère, l’une des victimes des « générations volées » qui a parcouru 2 400 km à travers le bush en longeant la clôture anti-lapins pour rejoindre sa tribu.

Rabbit Proof fence

 Et c’est en 2008 que le Premier Ministre australien prononce un discours de repentance et de pardon. La même année sort le film Australia de Baz Luhrmann avec Nicole Kidman, une grande fresque romanesque qui reprend ce thème des « générations volées » en situant cette fois l’action pendant la Seconde Guerre mondiale à Darwin (seule ville australienne bombardée par les Japonais) et dans de magnifiques paysages du bush.

Australia affiche film

Et si, pour mieux comprendre le bush australien on lisait Arthur Upfield ?

Upfield est un écrivain australien d’origine britannique décédé en 1964. Il est le père de roman policier ethnologique (voir l’article sur Arthur Upfield), un genre qui s’est davantage fait connaître à travers l’auteur américain Tony Hillerman (dont l’enquêteur est un inspecteur navajo et dont les romans se situent dans les réserves de l’Ouest des États-Unis)

Upfield est aujourd’hui tombé dans l’oubli en Australie après avoir été très à la mode des années 1930 aux années 1960. Il est paradoxalement plus connu en France des lecteurs de roman policiers qui recherchent l’exotisme : une douzaine de ses romans ont été traduits en français et édités en format de poche depuis la fin des années 1990 et lui ont redonné une nouvelle postérité. Les lecteurs y découvrent une Australie intérieure bien mystérieuse à travers les enquêtes d’un inspecteur métis aborigène, Napoléon Bonaparte alias Bony !

Upfield a été très populaire pendant la Seconde Guerre mondiale : ses romans paraissent pour la première fois aux États-Unis en 1943 et rencontrent un très vif succès parmi les militaires américains envoyés combattre dans le Pacifique et pour lesquels l’Australie constitue une base arrière de repos.

Upfield a été boudé par la bonne société australienne parce qu’il parlait avec une curiosité bienveillante des Aborigènes à une époque où la politique officielle était bien différente. Upfield est aussi tombé dans l’oubli en Australie parce que les Aborigènes d’aujourd’hui trouvent que sa description des pratiques tribales n’est plus à la pointe de la recherche anthropologique ! Pire encore, ses romans ont été adaptés à la télévision australienne dans les années 1970. L’acteur choisi pour incarner l’enquêteur métis n’était même pas aborigène mais blanc…

La loi de la tribu 2Upfield The will of the Tribe

 

 

 

 

 

 

En attendant, l’approche qu’Upfield présente des rapports entre Blancs et indigènes dans le Bush australien de l’entre-deux-guerres, la précision avec laquelle il décrit les paysages de l’intérieur de l’Australie et les problèmes climatiques -ses différents romans couvrent quasiment toutes les régions intérieures du pays-, l’intérêt qu’il éprouve pour montrer comment les Aborigènes tirent parti du milieu semi-aride où ils vivent, reste tout à fait fascinante pour un lecteur européen d’aujourd’hui.