L’imaginaire de la conquête de l’Ouest : westerns etc…

Après cet article géographique sur l’Ouest américain, je voudrais ici évoquer la manière dont cette région est entrée dans nos imaginaires d’Européens… même si elle semble y être moins présente aujourd’hui, reléguée dans celui des jeunes générations par un autre imaginaire qui emprunte aux jeux vidéos, à l’univers des « blockbusters » américains (ces films à très gros budgets) comme les Star Wars, les épisodes du Seigneur des Anneaux) et les séries (style Game of Thrones...)

Le « Farwest » et les « Westerns » : une région avec ses clichés, un genre cinématographique qui a évolué

Le « Farwest », c’est l’univers des pionniers avec leurs chariots, des Indiens, des cowboys, des hors-la-loi et des chercheurs d’or… On y a toujours des bagarres de saloon, des attaques de convois, puis de diligence par les Indiens (et du train un peu plus tard), des chevauchées dans de grands espaces, des shérifs avec leur étoile, des femmes à protéger… Ce sont ces ingrédients qui ont fait les westerns, ce genre du cinéma hollywoodien très populaire après la Seconde Guerre mondiale surtout quand le cinéma n’est plus muet.

L’acteur le plus célèbre en est John Wayne (1907-1979) et ses films les plus emblématiques cette trilogie du réalisateur John Ford : Le Massacre de Fort Apache (1948), La Charge héroïque (1949) et Rio Bravo (1950).

John Wayne dans la chevauchée fantastique

John Wayne dans la Chevauchée fantastique, un western de John Ford de 1949

Monument valley

Monument Valley et l’endroit appelé John Ford Point qui est l’un des paysages les plus célèbres de l’univers du western

À cette époque, dans tous les westerns les Indiens sont sauvages et cruels : ils attaquent les diligence ou les trains, scalpent leurs prisonniers. Les héros sont armés et virils. Ils sauvent de belles dames en péril qui se sont imprudemment aventurées dans une région aussi peu civilisée où les shériffs sont bien seuls pour maintenir l’ordre.

Sergio Leone et le « western spaghetti »

L’expression western-spaghetti désigne les westerns produits en Italie. Ce filon du western italien a été particulièrement exploité entre 1963 et 1978 avec environ 450 films.

Le réalisateur le plus connu en est Sergio Leone (1929-1989) qui s’appuie sur la musique d’Ennio Morricone (1928-2020)  avec notamment les films suivants :

  • Le Bon, la Brute et le Truand  (1966)  avec Clint Eastwood (né en 1930)
  • Il était une fois dans l’Ouest (1968) qui évoque la conquête de l’Ouest et la construction du chemin de fer avec Henri Fonda (1905-1982), Charles Bronson (1921-2003) et Claudia Cardinale (née en 1938).
  • Il était une fois en Amérique (1984).
il était une fois dans l'Ouest

un film de 1968 : pas d’indiens ?

C’est le même décor mais on est loin des grands sentiments des westerns américains. Voilà ce qu’en dit Sergio Leone :

  « Dans les films de John Ford, quand un acteur ouvre la fenêtre, c’est toujours pour regarder le futur immense qui s’étend devant lui. Dans mes films, quand il ouvre la fenêtre, il a juste peur de recevoir une balle entre les deux yeux »

On parle peu dans ces films, quelques répliques-culte et beaucoup de musique (celle d’Ennio Moricone). Il n’y a quasiment pas d’Indiens dans les westerns spaghetti ! Ils ont disparu ?

Vers la réhabilitation des Indiens ?

Progressivement on va avoir d’autres types de films sur l’Ouest dont je donne ici seulement deux exemples et qui montrent les Indiens sous un jour moins manichéen.

Le premier est  Little Big Man (1970) d’Arthur Penn avec Dustin Hoffman (né en 1937). Un vieillard y raconte son adoption par les Cheyennes dans les années 1860 et sa participation à la bataille de Little Big Horn (1876) qui marque la défaite du général Custer face à une coalition de Cheyennes et de Sioux menée par le chef Sitting Bull (1831-1890).

little Big man

un film de 1970 : pas de cowboys ?

Little_Bighorn_Battlefield_National_Monument

Bataille de Litte Big Horn en 1876 (Montana) entre le général Custer et le Sioux Sitting Bull (voir le site officiel)

L’autre film est Danse avec les loups (Dances with Wolves) est un  film  réalisé et joué  par Kevin Costner (né en 1955) en 1990 (7 oscars) (3 h). Il évoque le sort d’un officier traumatisé après la guerre de Sécession et qui prend un poste dans l’Ouest.

Danse avec les loups

Danse avec les loups, un film de 1990

Buffalo Bill et l’imaginaire des Américains et Européens

En fait l’imaginaire du western tient à un épisode souvent oublié aujourd’hui : les tournées d’un certain Buffalo Bill en Amérique et en Europe. Qui est donc ce Buffalo Bill qui était encore si connu des enfants et adolescents dans les années 1950 ?

William Cody alias Buffalo Bill (1846 Iowa -1917 Denver) est  d’abord le plus célèbre chasseur de bisons de la conquête de l’Ouest d’où ce surnom de « Buffalo » (bison). Mais pourquoi tuer des bisons ? Pour nourrir les travailleurs qui construisent les lignes de chemin de fer transcontinentaux, des marchés sont lancés et Buffalo Bill se révèle un expert dans le domaine. Il va ainsi contribuer à une quasi extermination des bisons des grandes plaines qui étaient le gibier que les Indiens chassaient pour se nourrir.

Avant cette activité très lucrative, il a participé en 1860 à la création du « Pony Express » (un service de messagerie rapide  entre le Missouri et la Californie qui permettait à une lettre de mettre seulement dix jours –contre trente en diligence) mais ce service  n’a survécu qu’un an… L’invention du télégraphe l’a rendu tout de suite obsolète.

Puis Buffalo Bill va devenir organisateur de spectacles  : pendant trente ans et jusqu’à  la veille de la Première Guerre mondiale, il dirige un spectacle : le Buffalo Bill’s Wild West  qu’il présente dans toute l’Amérique du Nord et en Europe. Sitting Bull (le grand chef Sioux qui a battu le général Custer à la bataille de Little Big Horn en 1876) y participe en 1885 aux États-Unis et au Canada.

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Buffalo Wild Show en 1890

Sitting Bull et Buffalo Bill

Le chef sioux Sitting Bull et Buffalo Bill en 1885 lors de la tournée du Buffalo Bill’s Wild West

C’est un spectacle destiné à recréer l’ambiance de l’Ouest américain : scènes de la vie des pionniers, chasse au bison, chevauchée du Pony Express, attaque d’une diligence et de la cabane d’un pionnier par les Indiens. La présence de vrais Indiens y constitue le clou du spectacle. Bref Buffalo Bill a inventé les spectacles son-et-lumières comme les parcs d’attraction d’aujourd’hui (style Puy du Fou) aiment en concevoir pour la joie des touristes !

L’ennui est la transformation à travers ce spectacle du « Far west » (qui est simplement l’Ouest lointain et évoque la distance) en « Wild west » (Ouest sauvage à cause des Indiens). Les Indiens survivants, à partir de là, ont été parqués dans des réserves et instrumentalisés aujourd’hui avec leur accord dans une forme de « touristification » (« disneylandisation » dirait la géographe Sylvie Brunel) de l’Ouest américain.

boutique Monument Valley

Une jolie boutique indienne à Monument Valley

Officiellement le gouvernement américain tente de réhabiliter les cultures indiennes ce qu’on perçoit par exemple sur le site officiel de promotion touristique  qui propose 5 lieux à découvrir (deux musées -à Washington et Phoenix pour connaître l’histoire ; deux sites en Oklahoma et au Nouveau-Mexique pour s’immerger dans l’univers matériel des Indiens et un rassemblement (un « powwow« ) à Albuquerque au Nouveau Mexique pour vivre cette culture traditionnelle).

Mais la vraie question est ailleurs : comment vivre au XXI e siècle quand on est les survivants de ces peuples premiers qui avaient des modes de vie et des cultures animistes si différentes des nôtres. A-t-on le droit d’aspirer à la modernité et au confort comme les autres êtres humains de la planète ? Doit-on se replier sur son passé et survivre en se coupant des influences culturelles des autres de peur de disparaître ?

C’est une grande interrogation pour moi depuis mes longs séjours dans des régions à fond culturel animiste (le Cameroun  du Sud, la Nouvelle-Calédonie).

Plusieurs articles de ce blog font écho à cette interrogation : celui sur Edward T Hall les Navajos et les Hopis, celui sur les aires culturelles, celui intitulé Mes chers Canaques, celui intitulé le Grand Kaori des ancêtres et celui sur Arthur Upfield père du roman ethnologique (qui évoque la culture des Aborigènes d’Australie).