Socrate, Platon, Aristote, Alexandre le Grand : la transmission orale de maître à élève ?

Le petit graphique qui suit montre l’écart de génération entre ces 4 grandes figures de l’Antiquité grecque que sont Socrate, Platon, Aristote et Alexandre le Grand.

Pourquoi s’intéresser à une telle question ? Parce que dans l’Antiquité et jusqu’à aujourd’hui, la transmission d’un maître à un élève a été quelque chose de fondamental, et pour qu’elle fonctionne, cela a toujours nécessité un écart d’âge qui est parfois d’une génération, parfois d’une simple dizaine d’années.

Aujourd’hui toutefois ce mode de transmission ne semble plus fonctionner que dans le cas de certains types d’apprentissage : celui de la musique avec un professeur particulier (le professeur joue, montre ses « trucs », l’élève joue, essaie de les appliquer et rectifie), celui de l’artisanat (le maître d’apprentissage montre le « truc », explique, fait faire et rectifie).

L’un de mes fils est un excellent soudeur sur aluminium (ce qui est plus technique que la soudure sur acier). Il a eu la chance d’être formé à l’école de soudure d’ALSTOM par un maître d’apprentissage qui avait 25 ans d’expérience dans ce domaine, dans une entreprise qui a la fierté de construire des trains à grande vitesse fiables en aluminium pour lesquels on ne peut pas se permettre d’avoir des soudures bricolées (elles sont scannées pour vérifier leur qualité). On ne peut transmettre ces « trucs » qui permettent d’être rigoureux, d’économiser sa force, d’être rapide que dans ce tête à tête du maitre à l’apprenti.

Mais il semblerait que l’idée, en matière intellectuelle, qu’un professeur transmette de cette manière a disparu avec, d’une part, la massification de l’enseignement depuis le XIX e siècle et, d’autre part, la mode pédagogique qui s’est progressivement imposée après 1968 (en tout cas dans notre pays) qu’un jeune construise ses connaissances avec ses pairs et qu’on abandonne un mode de transmission perçu comme autoritaire et coercitif. Nous avions déjà évoqué cette question dans un court article intitulé Maître, professeur ou enseignant

L’Antiquité grecque et ses philosophes vedettes

Socrate, Platon et Aristote sont des adultes. Alexandre n’est qu’un jeune garçon de 13 ans mais dont l’instruction est fondamentale compte tenu de son rang, fils de Philippe de Macédoine qui règne sur cette région du Nord de la Grèce.

Présentons d’abord très brièvement nos 4 figures :

  • Socrate (470-399 av JC) philosophe athénien ; il a été condamné à boire la cigüe ; accusé d’impiété et de corruption de la jeunesse.
  • Platon (427-347/8 av JC) disciple de Socrate ; voyage en Sicile et en Égypte, revient à Athènes et fonde l’Académie. A écrit des dialogues où il met en scène Socrate (dialogues qu’on étudie en cours de philosophie comme le Timée, la République)
  • Aristote (384-322 av JC) disciple de Platon puis précepteur d’Alexandre le Grand. A laissé une œuvre monumentale. Fonde le Lycée à Athènes.
  • Alexandre le Grand (356-322 av JC) monte sur le trône de Macédoine après son père Philippe ; unifie la Grèce puis entreprend des conquêtes qui lui permettent de vaincre l’Empire perse et d’atteindre l’Indus. Fonde de nombreuses villes portant son nom (Alexandrie) et meurt rapidement sans héritier : l’empire est partagé entre ses généraux.

La célèbre et immense fresque (7 m sur 4 ) du peintre italien Raphaël (1483-1520), intitulée : l’école d’Athènes (1508-1512) exposée au Vatican, représente -avec l’imaginaire de la Renaissance- de grandes figures de l’Antiquité grecque et notamment au centre les figures de Platon et d’Aristote.

Détail de la fresque l’Ecole d’Athènes : Platon est représenté en vieillard (il tient un livre qui est le Timée -l’un de ses derniers dialogues et qui est l’un des plus importants-. A sa gauche on trouve Aristote (plus jeune) qui tient l’Éthique (à Nicomaque) un ouvrage qui résume sa philosophie morale.

On s’aperçoit aussi que cette transmission passe essentiellement par l’oral : Socrate n’a absolument laissé aucun écrit. Platon comme Aristote ont, à l’inverse, laissé des œuvres importantes qui ont eu la chance d’être en partie sauvegardées jusqu’à aujourd’hui. L’œuvre de Platon est essentiellement composée de dialogues entre un maître (Socrate) et ses disciples à qui il pose des questions en les mettant sur la voie, en leur faisant des objections, en les mettant face à leurs contradiction.

La transmission de l’œuvre de Platon et d’Aristote jusqu’à aujourd’hui

Elle s’explique notamment parce que l’unification du monde grec à l’époque d’Alexandre le Grand et surtout la relative stabilité de la partie orientale du Bassin méditerranéen lorsque ses généraux se partagent son empire (par exemple la dynastie des Ptolémée qui règne sur l’Égypte jusqu’à la conquête romaine à la fin du Ier siècle avant JC), explique sans doute le rayonnement intellectuel des grandes villes comme Alexandrie (d’Égypte) ou Pergame (aujourd’hui en Turquie) à une époque où la langue grecque s’est transformée en une « koiné » (une langue commune -voir l’article sur la démocratie athénienne).

J’ai découvert récemment que la transmission de ces textes des philosophes du Ve et IVe siècle avant J C devait beaucoup au fait que le climat désertique de l’Égypte avait permis la conservation d’un stock fantastique de papyrus que les hellénistes d’autrefois avait longtemps un peu méprisés parce qu’ils étaient écrits en koinè.

Mais ce mépris pour les papyrus a quelque peu cessé car il est essentiel pour les historiens d’aujourd’hui de comprendre comment des textes qui ont près de 2500 ans ont pu se transmettre. Ils continuent à être enseignés dans nos lycées où la philosophie demeure la matière qui est la clé de voûte de tout le système d’enseignement général (c’est la seule qui dans la réforme du nouveau Bac a une épreuve écrite de 4 h qui se passe en fin de Terminale).

Ainsi l’historien Jean-Luc Fournet prononce en 2016 sa leçon inaugurale au Collège de France sur le thème suivant : Ces lambeaux, gardiens de la mémoire des hommes. Papyrus et culture de l’Antiquité tardive. On a créé pour lui au Collège de France une nouvelle chaire intitulée « Culture écrite de l’Antiquité tardive et papyrologie byzantine ».

Rappelons comme on l’a écrit dans un autre article que le Collège de France (créé à la Renaissance sous François Ier a vocation) depuis à permettre à des chercheurs qui explorent de nouveaux domaines d’avoir un lieu pour les exposer et les transmettre. (voir la présentation du Collège de France dans l’article qui explique l’évolution de la Sorbonne depuis le Moyen Âge

12 réflexions sur “Socrate, Platon, Aristote, Alexandre le Grand : la transmission orale de maître à élève ?

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