Le match Bossuet-Fénelon : qui est le meilleur pédagogue ?

Un nouvel article qui porte sur l’instruction, la transmission de connaissances, l’alphabétisation qui sont au cœur des problématiques qui m’intéressent actuellement et me poussent à me réintéresser à un siècle, celui de Louis le XIV, le XVIIe siècle donc que nous avons jeté depuis longtemps avec l’eau du bain dans nos programmes d’histoire… (voir aussi l’article sur Madame de Maintenon). C’est un siècle tellement passé de mode… ennuyeux, compliqué, misogyne : seuls les touristes étrangers aiment Versailles et le roi Louis XIV (voir l’article Versailles un petit décryptage ) !

Pour situer nos 2 personnages, Bossuet et Fénelon et simplifier grandement les choses tous deux sont des hommes d’églises très cultivés (qui terminent évêques), tous deux sont remarqués par Louis XIV pour être précepteurs d’un enfant appelé à devenir le futur roi de France : Bossuet est chargé de l’éducation du Grand Dauphin (le fils aîné de Louis XIV), Fénelon de celle de ses enfants (qui sont donc les petits-fils de Louis XIV, fils du Grand Dauphin).

Bossuet : le précepteur austère du Grand Dauphin

Bossuet est le plus ancien de deux. Il est né en 1627. Il est issu de la Noblesse de robe (famille de magistrats au Parlement de Metz). Il fait des études brillantes à Dijon (notamment en grec et latin) avant d’aller à Paris à 15 ans étudier la philosophie et la théologie. Il est reçu docteur en théologie  et ordonné prêtre en 1652 (il a 25 ans).

Puis il devient en 1670 précepteur du Dauphin (Louis de France -1661-1711-, fils aîné de Louis XIV et de Marie-Thérèse-) quand l’enfant a 9 ans, ce jusqu’à son mariage en 1680. Bossuet écrit lui-même les livres de classe pour son royal élève.

Hélas son éloquence (il fait également de nombreux serments), son âge (il a déjà 43 ans) et son caractère austère ne sont pas forcément bien adaptés à un enfant.

Pendant près de dix ans, Bossuet raconte au dauphin l’histoire des rois qui se sont succédé à la tête du royaume, en tirant de ce récit des enseignements politiques, psychologiques et moraux ; le récit est mené jusqu’au règne de Charles IX (1560-1574). Le dauphin doit résumer oralement la leçon, puis la rédiger en français et la mettre en latin.

Fénelon (1651-1715), précepteur des petits-fils de Louis XIV et auteur des Aventures de Télémaque : un pédagogue à la pointe au XVIIe siècle

Fénelon est plus jeune. Il est né en 1651. Il est issu d’une noblesse ancienne mais désargentée du Périgord. Dans son enfance Fénelon reçoit l’enseignement d’un tuteur au château de Fénelon (qui se trouve dans l’actuel département de la Dordogne), lequel lui donne une solide connaissance du grec et des classiques. Il est ensuite envoyé à l’université de Cahors (la plus proche) et y étudie la rhétorique et la philosophie. Intéressé par une carrière dans l’Église, un oncle marquis, l’envoie au collège du Plessis (il se trouve à Paris dans le quartier latin à l’emplacement de l’actuel lycée Louis-le-Grand) y étudier la théologie. Le jeune homme de 15 ans s’y révèle brillant dans ses prêches.

Il est ensuite reçu docteur en théologie de l’université de Cahors et ordonné prêtre en 1677 (il a 26 ans). En 1679 il est nommé Supérieur de l’institut des nouvelles catholiques consacré à la « rééducation » de jeunes filles de bonne famille dont les parents protestants se sont convertis au catholicisme. Il tire de cette expérience un Traité de l’éducation des filles (publié en 1687).

Puis, en 1689, sur les conseils de Madame de Maintenon (qui est la préceptrice des bâtards que Louis XIV a eus avec sa maîtresse Madame de Montespan), Fénelon est nommé précepteur du Duc de Bourgogne (1682-1712). C’est le petit-fils de Louis XIV, le fils aîné du Grand Dauphin et potentiellement l’héritier du trône (même s’il ne règnera jamais puisqu’il meurt en 1712, trois ans avant Louis XIV).

Quand Fénelon est donc chargé de l’éducation du duc de Bourgogne, l’enfant n’a que 7 ans. Fénelon en a 38 ans et se charge également de l’éducation de ses deux petits frères : le duc d’Anjou (1683-1746 -qui va devenir roi d’Espagne sous le nom de Philippe V) et le duc de Berry (1686-1714 -qui meurt bêtement d’un accident de chasse à 27 ans).

Fénelon écrit plusieurs œuvres amusantes et instructives pour son royal élève notamment en 1694-1696, un roman éducatif d’aventures et de voyages : Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse.

Dans ce roman pseudo-historique, l’auteur conduit le jeune Télémaque, fils d’Ulysse, flanqué de son précepteur (Mentor) à travers différents États de l’Antiquité, qui, la plupart du temps, par la faute des mauvais conseillers qui entourent les dirigeants, connaissent des problèmes semblables à ceux de la France des années 1690 : guerres qui les appauvrissent, problèmes qui cependant peuvent se résoudre grâce aux conseils de Mentor :  entente pacifique avec les voisins, réformes économiques promotion de l’agriculture et arrêt de la production d’objets de luxe !

Dans la France des XVIIIe et XIXe siècles, Télémaque a été l’un des livres les plus lus par la jeunesse. On peut le trouver ici en ligne (à notre époque cela nous semble très ennuyeux -trop de personnages, un style compliqué-).

Si nous avons oublié Bossuet au XXIe siècle, le nom de Fénélon est toujours présent : c’est à la fois celui d’un grand lycée public parisien, situé dans le VI e arrondissement le lycée Fénelon (ancien lycée de jeunes filles, connu pour la qualité de ses classes préparatoires). C’est aussi le nom en province d’établissements catholiques privés sous contrat (c’est le cas à La Rochelle de l’ensemble Fénelon-Notre Dame qui va de la maternelle à des classes post Bac ; c’est le cas aussi à Clermont-Ferrand et dans d’autres villes françaises -Lille, ou Paris VIIIe).

Conclusion ?

Quoi qu’il en soit on ne saura jamais si cette éducation proposée par Bossuet et Fénelon a été réussie puis ni l’un ni l’autre de leurs illustres élèves ne sont montés sur le trône de France : Louis XIV est mort en 1715, le Grand Dauphin en 1711 et le Petit Dauphin en 1712.

C’est donc Louis XV, né en 1710, l’arrière-petit fils qui a accédé au trône de France à l’âge de 5 ans… Lui aussi a eu un précepteur attitré, un homme d’Église choisi par Louis XIV et sa dernière épouse Madame de Maintenon qui avait le même type de formation que Bossuet et Fénelon : le Cardinal de Fleury (1653-1743).

La différence c’est que Fleury a vraiment élevé le jeune Louis XV qui était orphelin, a continué à le conseiller une fois qu’il est monté sur le trône puisqu’il a été son principal ministre de 1726 à 1743.

Une dernière question peut se poser à nous : et le futur Louis XVI, né en 1754 dans cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, qui est ce « Siècle des Lumières », quel type de précepteur lui a-t-on donné ? Encore un ecclésiastique ? Ou quelqu’un qui a une formation plus moderne et pragmatique ? Voilà un sujet intéressant à creuser… une autre fois.