Le Belarus, un État au ban de l’Europe?

Le Belarus, petit État d’Europe orientale peu connu est actuellement sous les feux de l’actualité à cause d’un problème frontalier avec la Pologne. Quelques éléments de repérages pour tenter de comprendre la situation.

Le Belarus est un des 15 États issus de l’éclatement de l’URSS après 1991. C’est un petit pays enclavé d’Europe d’environ 200 000 km² pour une population d’environ 9,5 millions d’habitants. A l’époque soviétique on l’appelait Biélorussie.

Il a des frontières à l’Est avec la Russie, au Sud avec l’Ukraine et à l’Ouest avec 3 États membres de l’Union Européenne entrés en 2004 : la Lettonie et la Lituanie (anciennes républiques soviétiques) et la Pologne. Sa capitale est Minsk, une agglomération d’environ 2 millions d’habitants.

Quelles images associer au Belarus en dehors de l’actualité immédiate ?

L’idée qu’on peut retenir est que le Belarus est une sorte de Russie miniature : même culture (histoire, langues, religion), même type de régime autoritaire sans tradition démocratique, même imaginaire marqué par la Seconde Guerre mondiale, même essor économique qui dope la capitale mais laisse les campagnes à l’écart.

J’ai choisi cette première photo pour évoquer le Belarus (parce que je suis quelqu’un d’optimiste et qui croit à la culture) Voici l’opéra de Minsk -c’est écrit en cyrillique sur la façade- : il s’appelle évidemment le « Bolchoï « (cela veut dire grand en russe) c’est donc le Grand Théâtre de Minsk inauguré en 1939… une manière de suggérer que le Belarus est en quelque sorte une Russie miniature assez semblable sur les plan culturel, politique et militaire
Le musée de la Grande Guerre Nationale de Minsk créé dès 1943 (mais installé dans ce nouveau lieu en 2014), un haut lieu de mémoire

La référence à l’héroïsme pendant la Seconde Guerre mondiale face au nazis demeurent un des éléments constitutifs de l’identité à la fois russe et biélorusse (voir aussi l’article La Russie et les signaux que nous ne voulons pas voir ?).

Quand on cherche à découvrir le Belarus depuis Google maps on s’aperçoit que la voiture Google n’y passe pas (c’est le cas ailleurs dans le monde à la fois là où l’on veut éviter cet espionnage déguisé d’une société privée américaine -Corée du Nord, Chine- ou quand ce n’est pas assez intéressant économiquement parce que la région n’est pas assez développée – campagnes des PMA (pays les moins avancés) et quartiers d’autoconstruction des métropoles-

Mais au Belarus, comme partout dans le monde d’aujourd’hui, les habitants ont des téléphones (voir l’article Un produit mondialisé : le téléphone portable (étude de cas) et aiment mettre leurs photos en ligne.

C’est ainsi que Minsk apparaît comme une ville de structure soviétique (avec un plan radio-concentrique et un double périphérique comme à Moscou) à la voirie bien entretenue, avec un métro moderne et de nombreux immeubles en construction notamment au sud entre le 1er périphérique et le second dans un immense chantier loin d’être achevé.

Le nouveau centre financier en construction à Minsk (photo de septembre 2021)

Un petit pays mis à l’écart et qui s’agite pour exister ?

C’est le seul pays d’Europe qui ne fasse pas pas partie du Conseil de l’Europe en raison d’un régime politique qui ne respecte pas les droits de l’homme

Carte des 47 membres du Conseil de l’Europe ici

Effectivement après l’éclatement de l’URSS le Belarus a élu en 1994 un jeune Président, Alexandre Loukachenko (né en 1954), (il est de la même génération que Vladimir Poutine) qui est toujours au pouvoir depuis plus de 25 ans donc.

Un timbre de 1996 à l’effigie du jeune président de cette jeune république indépendante : on remarque que le Belarus utilise l’alphabet cyrillique pour écrire sa langue le biélorusse (langue slave proche du russe) mais aussi le russe 2e langue officielle (langue maternelle de plus de 40 % de la population). On lit en cyrillique sur le timbre le nom du président Alexandre Grigorievitch Loukachenko Premier président de la République belarusse.

Loukachenko a été constamment réélu depuis 1994. Les mandats présidentiels sont en Belarus de 4 ans (comme en Russie). Loukachenko en est donc à son 6e mandat en 2020.

Sa posture très peu démocratique l’a rapproché des régimes qui sont mal vus du camp des démocraties occidentales. Par exemple on le voit à Caracas en 2013 à l’enterrement du président vénézuélien Hugo Chavez (voir l’article Du Vénézuéla de Bolivar au Vénézuéla de Chavez : quelques jalons) accompagné de son jeune fils (Kolya 11 ans ici qu’il emmène partout et dont il espère faire son successeur) en compagnie du président iranien (qui lui aussi a besoin de se montrer à l’international dans ce genre de circonstances -car aucun diplomate ou chef d’État n’osera créer un scandale en évoquant des sujets qui fâchent lors d’un enterrement, c’est donc une bonne occasion d’être vu dans les médias) !

Le président du Bélarus Alexandre Loukachenko et son fils Kolya devant le cercueil d’Hugo Chavez, le Président du Vénezuéla à Caracas en 2013. A droite le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. : deux représentants d’Etats mis au ban de la communauté internationale des pays démocratiques et qui entendent se montrer dans les médias

Rappelons qu’il est important dans le monde d’images d’aujourd’hui de se faire photographier à certains endroits et moments symboliques pour tenter d’asseoir sa position et que l’image qui précède (comme celle de Poutine à Sébastopol -voir l’article Qui est vraiment Vladimir Poutine ?) ou celle du président Xi Jinping au G20 de Hanghzhou en 2016 -voir l’article G 20 et COP 26 : le calendrier chargé de l’automne 2021 ?) est totalement réfléchie.

La dernière réélection de Loukachenko en 2020 est controversée dans le camp des démocraties car elle est entachée de nombreuses irrégularités d’où une opposition de plus en plus forte et pour laquelle l’Union Européenne a une évidente sympathie.

Comment se présente au juste le territoire biélorusse ?

Le Belarus occupe une région de plaine (on est dans le domaine de la grande plaine germano-polonaise-russe), marquée par l’importance de la forêt (confères, bouleaux, c’est ce qu’on appelle la taïga), de lacs d’origine glaciaire et de tourbières. On y a un climat continental (été chaud, hiver froid avec du gel et de la neige).

C’est un pays peu connu et peu touristique.

Les seuls toponymes qu’on peut éventuellement avoir retenu concernant ce pays à part le nom de sa capitale (Minsk) sont la ville-frontière de Brest (autrefois Brest-Litovsk), ville sur le Boug (au Sud-ouest du pays) où a été signé le 3 mars 1918 le traité de paix entre l’Allemagne (vainqueur) et la Russie (dont le gouvernement provisoire mené par Lénine a demandé la paix).

Le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 ici (plusieurs langues et 3 alphabets : allemand, hongrois, russe, turc -qui s’écrit en alphabet arabe- et ukrainien

L’autre nom peut-être connu est celui de « marais de Pripiat » qui correspond à une zone humide du Sud du pays qui déborde sur l’Ukraine qu’on voit bien apparaître sur cette carte d’avant la Première Guerre mondiale à une époque où l’Empire russe englobe une partie de la Pologne. (On voit ici que les grands axes ferroviaires qui desservent cette région sont déjà construits)

Ces marais sont indiqués ici « marais de Pinsk » et sont à la limite avec l’Ukraine. Pendant la Seconde Guerre mondiale ils ont été les lieux de refuge d’une partie de la résistance polonaise mais aussi d’extermination de juifs par les Einsatzgruppen et de sanglants combats en 1944.

Le Sud-est de la Biélorussie est très proche de Tchernobyl, cette localité Ukrainienne où une centrale nucléaire a explosé en avril 1986 créant la plus grande catastrophe nucléaire de tous les temps. Il en reste aujourd’hui une Réserve radioécologique d’État de Polésie (où les scientifiques analysent la faune et la flore)

Pourquoi parler du Belarus aujourd’hui ? Détournement d’avion et instrumentalisation de migrants

L’actualité est actuellement focalisée sur 2 incidents majeurs survenus en 2021 et qui sont des véritables provocations à l’égard de l’Union Européenne.

Le premier a eu lieu le 23 mai 2021 quand un charter de Ryanair qui assurait la liaison entre Athènes et Vilnius la capitale de la Lituanie en survolant -comme les règles de l’OACI (Organisation de l’Avion Civile Internationale)- l’y autorisaient a été détourné par un avion de chasse biélorusse qui a obligé l’appareil à se poser à Minsk. Les passagers (près de 200) ont été débarqués et l’on a arrêté un ressortissant biélorusse, Roman Protassevitch, journaliste opposant au régime de Loukachenko qui est aujourd’hui emprisonné.

En réponse à cela l’Union Européenne a interdit le survol de son territoire par des appareils biélorusses et conseille aux États-membres de ne plus survoler le territoire biélorusse.

L’instrumentalisation orchestrée de migrants irakiens piégés par les autorités biélorusses à la frontière de l’Union Européenne

Le second est tout récent (novembre 2021) et a été très fortement médiatisé. Il concerne l’arrivée de migrants attirés en Belarus (ils ont payé un vol jusqu’à Minsk puis un taxi jusqu’à la frontière polonaise puis ils se retrouvent dans la forêt face à une frontière tenue par des barbelés et face à 15000 militaires polonais qui tentent de les empêcher de passer).

Cette carte sans échelle montre les différents postes frontières entre Pologne et Belarus (ils sont en vert) et l’un des plus importants est celui de Brest. Les lieux en rose sont ces endroits qu’on nous montre dans les médias et notamment au Sud dans cette forêt où il n’y a pas de poste-frontière et où la frontière est fermée par des barbelés pour justement empêcher des intrusions de clandestins.

En fait sur les première images on voit surtout des hommes en anorak avec des bonnets et capuches qui tentent de franchir une frontière barbelée par la force (cisailles et arbres abattus) mais sans armes face à des forces armées qui n’ont cependant pas l’intention de tirer mais utilisent d’autres moyens (bombes lacrymogènes).

C’est dans un second temps qu’on se rend compte qu’il ne s’agit pas de Biélorusses qui veulent quitter un pays non démocratique (car c’est cela à quoi nous avait habitué la Guerre Froide et son rideau de fer) mais dans un décor du même genre, ce qui se joue correspond à un environnement géopolitique très différent : ces migrants viennent principalement du Moyen Orient (notamment d’Irak et un peu de Syrie et d’Afghanistan) et d’Afrique subsaharienne. Ils ont été appâtés par cette nouvelle filière migratoire (qui leur en évitait une autre assez terrifiante -celle qui passe entre la Turquie et les îles grecques et oblige à une traversée maritime en canot pour des gens dont certains n’ont jamais vu la mer -) mais cette fois ce ne sont pas des passeurs privés mais un État qui en quelque sorte organise ce trafic de migrants illégaux.

Et ce qui est horrible c’est que les Biélorusses -pas plus que les Polonais voisins- n’éprouvent pas le moindre sentiment de proximité avec des gens qui ne parlent pas leur langue, n’ont pas la même religion, ne connaissent absolument rien à ce milieu boisé, froid et hostile (où pourtant je l’ai rappelé que pendant la Seconde Guerre mondiale les partisans polonais ont survécu dans ces conditions et organisé une résistance efficace).

Au premier plan la Pologne avec des militaires déployés devant la frontière avec le Belarus (barbelés) et derrière des centaines de migrants massés dans la forêt et tentent de forcer le passage

Voici une carte très parlante trouvée sur Wikipédia qui explique ce mécanisme d’instrumentalisation d’un incident de frontière qui n’est pas un simple phénomène local.

On remarquera au passage que la compagnie aérienne Belavia en profite pour gagner de l’argent (puisqu’il ne faut jamais oublier que les migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe paient et très cher des passeurs, ce ne sont pas les plus pauvres qui arrivent jusqu’en UE mais à la fois les plus déterminés et ceux qui ont eu les moyens financiers de passer -ou alors sont parfois en quelque sorte « vendus » comme future main d’œuvre forcée et devront rembourser le passage).

Carte qui explique la logique de cette migration organisée ici

Face à cela l’Union Européenne se trouve très démunie et coincée.

D »un côté nous nous devons d’apporter une aide humanitaire à ces êtres humaines car cela fait partie des valeurs sur lesquelles repose notre modèle politique et social européen. Et les associations humanitaires partout en Europe font ce travail de fourmi d’aider au quotidien des êtres humains en détresse à se nourrir, se mettre à l’abri, se laver et se soigner puis les aider à faire leur demande de droit d’asile dans l’Union Européenne qui, souvent, ne seront pas acceptées.

Et d’un autre nous ne pouvons pas accepter qu’un État comme le Belarus qui viole ces valeurs cherche à déstabiliser nos systèmes démocratiques de cette manière en s’enrichissant au passage sur le dos d’êtres humains désespérés et à qui on a fait miroiter des mensonges qu’ils ont voulu croire.

Non l’Union Européenne n’accueille pas à bras ouverts tous les gens désespérés du monde en leur donnant l’accès à la liberté politique et religieuse, à l’éducation et à la santé gratuitement, à un logement, un travail et de l’argent tout cela parce qu’elle est riche.

Oui l’Union Européenne compte beaucoup de citoyens engagés, empathiques, prêts à donner de leur temps pour aider les gens dans la détresse de manière bénévole parce qu’un être humain normal est sensible à la détresse de son prochain quand il la voit de près, qu’il vit dans un système où cette solidarité peut être organisée à la fois de manière bénévole et institutionnelle.

Un régime comme celui du Belarus est soutenu par la Russie parce qu’il fait partie naturellement de la sphère d’influence de la Russie.

Mais quand le Belarus commence à expliquer dans les médias qu’il bloquera l’arrivée du gaz russe vendu à l’U.E. qui transite par son territoire si l’U.E continue à le menacer de sanctions, on constate que la Russie de Poutine ne le suit plus : elle a besoin des revenus financiers du gaz (surtout en ce moment où les cours sont élevés).

Donc une médiation avec un tel pays ne peut passer qu’avec une négociation avec la Russie, un régime dont nous devons nous méfier, avec lequel nous avons beaucoup de différents mais avec lequel il faut néanmoins discuter à aboutir à un compromis acceptable pour l’Union Européenne comme pour la Russie.