Il y a 10 ans, avec mes élèves de Seconde, nous avions travaillé sur la réalisation d’un petit journal dans le cadre de l’AP (« l’accompagnement personnalisé »). Parmi eux il y avait des élèves d’Abibac (qui passent à la fois le Baccalauréat français et l’Abitur allemand et font des séjours linguistiques importants en Allemagne au cours de leur scolarité.
Nous avions choisi cette double photo de couverture et je remets ici le texte rédigé à cette occasion en le complétant de quelques réflexions
De la sagesse de vieillards…
Le 22 janvier 1963 était signé au palais de l’Élysée un traité d’amitié franco-allemand dont nous venons de fêter le 50e anniversaire. Les signataires de l’époque étaient deux hommes politiques de premier plan, deux vieillards déjà : pour la France le général de Gaulle, Président de la République, 73 ans ; pour la République Fédérale d’Allemagne, le Chancelier Konrad Adenauer, 87 ans.
Ces hommes avaient tous deux enduré les deux guerres mondiales qui ont déchiré nos deux pays mais ils ont eu le courage et la lucidité de comprendre qu’un avenir de paix en Europe passerait nécessairement par la réconciliation franco-allemande puis par la construction d’une véritable amitié entre nos deux pays.
….à la persévérance des jeunes générations
Depuis cinquante ans maintenant cette amitié est entretenue à travers des d’initiatives qui passent toutes par l’apprentissage de nos deux langues. Pourtant si en Allemagne 20 % des jeunes Allemands apprennent le français, en France ce n’est que 15 % de nos jeunes qui suivent un tel enseignement. La répartition de ces élèves ayant choisi l’allemand comme l’une de leurs langues vivantes est très inégale dans l’hexagone : très forte dans un quart nord- est particulièrement en Alsace-Moselle, ces trois départements français qui ont entretenu par le passé des liens à la fois forts et douloureux avec l’Allemagne, la pratique de l’allemand décline considérablement dans le sud et le sud-ouest.
L’Office franco-allemand pour la Jeunesse créé en 1963 encourage largement les échanges entre jeunes de nos deux pays : en cinquante ans il a permis à huit millions de jeunes Français et Allemands de participer à des programmes d’échanges.
C’est dans ce cadre général que s’inscrivent nos trois classes « Abibac » en Seconde, Première et Terminale qui accueillent chacune 24 élèves et leur permettent d’acquérir un niveau d’allemand suffisant pour obtenir conjointement le Baccalauréat français et son équivalent allemand : l’Abitur ce qui leur offre la possibilité d’aller poursuivre des études supérieures en Allemagne. C’est également dans ce cadre que nous accueillons dans nos différentes classes des élèves allemands qui viennent passer deux à six mois à La Rochelle.
Le 23 janvier dernier une délégation allemande venue de notre lycée partenaire d’Ahrensburg près de Hambourg s’est déplacée spécialement au lycée Dautet pour fêter ce 50 e anniversaire.

Dix ans plus tard les choses ont-elles changé ?
Dix ans plus tard ce texte me semble toujours d’actualité. L’importance géopolitique des langues est mieux perçue et abordée dans nos programmes mais beaucoup de familles ne comprennent l’enjeu dans le choix de la LV2 qui doit désormais démarrer en classe de 5e. Les élèves d’Abibac sont toujours aussi curieux, travailleurs et intéressants car il profitent des meilleurs aspects des 2 systèmes scolaires de part et d’autre du Rhin.
Dans le cadre du programme de Première de la spécialité HGGSP (Histoire Géographie Géopolitique Sciences Politiques), il y a une thématique sur le rôle des langues : Promouvoir sa langue et sa culture : une manifestation indirecte de puissance ?. J’y évoque notamment la place de l’allemand parmi les langues internationales et le rôle des « Goethe Institut » à travers le monde pour diffuser la langue et la culture allemande. J’ai beaucoup parlé de langues sur ce blog car c’est une question qui m’a toujours intéressée : voir Sommaire « Langues ».
Apprendre un minimum la langue de l’autre est essentiel pour développer des liens d’amitié et ce sont des liens qu’il faut développer au sortir de l’enfance donc à l’adolescence grâce à des échanges scolaires, des bouts de scolarisation dans le pays étranger dont on commence à maîtriser la langue.
Or je suis désolée de voir à quel point l’enseignement de l’allemand régresse dans notre système scolaire français. D’un côté la place de l’anglais progresse (il me semble qu’il est indispensable de pouvoir lire l’anglais et de le traduire dans sa langue maternelle, je l’ai souvent exprimé), de l’autre l’allemand continue à être perçue comme une langue difficile et on lui préfère de plus en plus l’espagnol (la langue des vacances ?) ce qui ne me semble pas une bonne idée.
Il faut apprendre l’allemand dès le collège/lycée et ne pas attendre de s’y mettre à l’Université
Parallèlement une nouvelle offre linguistique s’est développée dans le système scolaire pour proposer de nouvelles langues au collège et au lycée mais on a mélangé 2 choses sans réfléchir suffisamment : veut-on utiliser rapidement cette deuxième langue de manière fonctionnelle (ce qui est impossible) ou veut-on une simple ouverture culturelle (ce qui est une excellente bonne idée) ?
Mais pour le cas de langues très éloignées du français (chinois, japonais, coréen, arabe, russe où l’on doit apprendre un nouveau système de transcription, on ne peut pas parvenir à l’utiliser de manière fonctionnelle). A l’inverse un élève francophone peut, s’il travaille sérieusement arriver en Terminale en lisant couramment l’anglais, l’italien ou l’espagnol (2 langues romanes) même s’il n’a pas fait beaucoup de séjours linguistiques. C’est ce que j’exprimais en 2020 dans cet article La place du français dans le monde
Pour l’allemand la situation est plus complexe : il est important qu’on puisse, dans certains cas, avoir une connaissance fonctionnelle de cette langue car il est facile pour un Français d’aller étudier en Allemagne à l’Université et il y a des postes d’ingénieurs et de techniciens à pourvoir chez notre grand voisin dont la démographie est chancelante.
Mais comme il s’agit d’une langue qui n’est pas romane comme l’espagnol ou l’italien et qui présente des déclinaisons (comme le latin), la maîtrise de l’écrit prend plus de temps même si la prononciation et l’orthographe ne sont pas bien difficiles pour un Français (beaucoup moins qu’en anglais). Donc il faut commencer tôt… et non à l’Université, quand on se rend compte que cela pourrait être utile… Sinon on utilisera l’anglais à la place. Cela sera suffisant dans la vie professionnelle mais pas dans la vie sociale si on doit vivre durablement en Allemagne ? C’est très inconfortable de vivre dans un pays dont on ne connaît pas la langue.
Mon expérience personnelle sur le sujet
J’ai fait de l’allemand comme LV2 (c’était le cas aussi de ma sœur aînée et de mon père dans l’après-guerre). Mes sœurs cadettes ont fait allemand LV1 (car elles sont arrivées au collège après la fin des filières sélectives en Sixième dans le collège unique de la réforme ; c’était à l’époque la manière d’être dans une classe plus sélective) même si aujourd’hui elles sont beaucoup plus efficaces en anglais et n’ont pas eu l’occasion de refaire de l’allemand.
Le choix des langues par les familles relève donc à la fois d’un calcul (mettre son enfant dans une classe où il sera à sa place dans un système scolaire qui nie les différences) et d’une perception qui dépend des familles (avec pour l’allemand beaucoup de méconnaissance de cette langue et plus généralement des difficultés d’apprentissages des langues étrangères).
J’ai ensuite eu la chance de pouvoir passer 2 mois à l’Institut Goethe (qui assurait ses cours d’été à l’Université de Constance) quand j’avais 20 ans et j’y ai suivi des cours dans un groupe international de 80 étudiants.
J’ai adoré ce séjour à la fois à cause des cours (efficaces), du cadre (une Université et une résidence universitaire autrement plus modernes que Paris-IV Sorbonne et l’ENS où j’étais élève), de l‘environnement régional du Baden-Wurtemberg (le lac de Constance -voir l’article Zoomons sur la Suisse : 4 lieux géopolitiquement, historiquement et géographiquement intéressants) et de l’ambiance internationale (Français, Britanniques, Portugais, Italiens, Israéliens, Turcs, Égyptiens…) et des excursion et activités (planche à voile, visite de Mainau, l’abbaye de Salem…). Mais en fait j’avais déjà un niveau correct et j’ai pu profiter des cours de « Mittelstufe II » (niveau intermédiaire II) et j’aurais pu à la rentrée universitaire être capable mais un peu difficilement de suivre un cursus en allemand. Ce n’était nullement le cas de certains de ces étudiants qui étaient débutants : deux mois est une durée beaucoup trop courte car dans n’importe quelle langue le cerveau a besoin d’un temps de maturation pour assimiler.

Mais trois ans plus tard j’ai trouvé un plan encore plus sympa pour continuer à faire de l’allemand et des rencontres internationales : obtenir mon BAFA et devenir animatrice de séjours franco-allemands dans le cadre d’un organisme qui s’appelle en français le BILD (Bureau International de Liaison et de Documentation) et qui a été créé après guerre pour favoriser un rapprochement entre nos deux pays.

J’ai encadré des séjours à Wasserburg au bord du lac de Constance (là où avaient lieur les stages de formation aux vacances de février et à Pâques) et à Berchtesgaden en hiver.
Pour moi l’amitié franco-allemande passe par ces rencontres internationales et la pratique des 2 langues même si je me suis toujours sentie un peu en difficulté quand il fallait parler en allemand car j’étais étudiante en géographie et je n’étais pas aussi bonne en allemand que mes camarades animateurs français et les animateurs allemands étaient excellents en français.
Je considère aujourd’hui à 60 ans (puisque mon anniversaire coïncide avec ce traité d’amitié franco-allemand) que cette pratique de la langue dans des échanges d’adolescents qui forge des amitiés durables est le ciment de relations diplomatiques et culturelles fertiles pour demain et qu’il faut continuer à entretenir cette amitié née après guerre et portée par ces quelques individus qui y sont sensibles. C’est plus efficace que de grands rassemblements.