Avec ma génération, celle née dans les années 1960, nous sommes entrés dans un monde pédagogique qui prônait l’idée selon laquelle « une tête bien faite était préférable à une tête bien pleine » ! Cette très jolie maxime avait juste oublié une chose : « une tête vide reste une tête vide… »! Bref en faisant comme si à l’école puis plus tard au collège et au lycée l’apprentissage et la récitation par cœur étaient des âneries, nous avons peut-être jeté le bébé avec l’eau du bain !
L’abandon du par cœur
Ma génération et les suivantes ont donc cessé d’apprendre par cœur… Le nombre de poésies ou de répliques de théâtres que j’ai mémorisées est pitoyablement maigre. Et il m’est aujourd’hui, à plus de 50 ans, très difficile d’apprendre par cœur le texte d’un poème ou d’une chanson. A côté de cela, j’ai une excellente faculté à retenir certaines choses et surtout de mettre en relation des éléments d’information, aptitude qui est aujourd’hui grandement amplifiée par le fait qu’Internet permet des vérifications instantanées et précises sur certains faits dont on a conservé une bribe significative.
Bref je constate que mon cerveau n’a pas entraîné une faculté qui a pourtant été considérablement développée par le passé, à une époque où la transmission du savoir était surtout orale et que cette faculté non entraînée s’est étiolée en vieillissant. Quel dommage !
Gisèle Casadesus, la reine du par cœur
L’actrice Gisèle Casadesus (née en 1914 et qui est donc plus que centenaire(N.B. Elle est décédée en 2017), entrée comme sociétaire de la Comédie Française en 1934 a continué presque jusqu’à aujourd’hui à pouvoir jouer au théâtre et au cinéma en mémorisant sans difficulté particulière ses textes. C’est ce qu’elle explique dans sa récente biographie : Cent ans c’est passé si vite.
Ceci montre à quel point la mémorisation de textes par cœur est d’abord une technique qui demande un entrainement précoce et peut ensuite continuer à être fonctionnelle très longtemps. Je regrette donc aujourd’hui que nous ayons oublié, dans notre système scolaire, que c’est une faculté du cerveau à développer chez les enfants et à renforcer chez les adolescents.
Ma génération a donc dû mémoriser autrement et inventer ses propres techniques. Si l’on ne devait plus apprendre par cœur un résumé d’histoire, alors comment retenir son sens ? Et comment pouvoir répondre par écrit à des questions portant sur ce qu’on en avait retenu ?
A cette époque, personne ne s’intéressait à la manière les collégiens et lycéens mémorisaient. En fait ceux qui n’étaient pas capables de trouver seuls des trucs efficaces étaient progressivement sortis des circuits scolaires et étiquetés comme « cancres » (sans qu’on puisse vraiment savoir s’ils avaient des déficiences intellectuelles, s’ils n’avaient pas passé assez de temps sur leurs leçons ou si, ne trouvant aucun sens à leurs études -et leurs parents non plus-, ils ne fournissaient pas assez d’efforts.)
Mais en fait les trucs efficaces étaient très basiques : il fallait écrire, réécrire, souligner, lire à voix haute, colorier et embellir ses cahiers… bref y passer du temps et répéter les choses en ne se contentant pas juste de regarder. Et aussi se coucher de bonne heure et ne pas regarder la télé le soir ! Il fallait surtout prendre un peu de temps pour relire ce qui avait été fait dans une journée de classe -parce qu’on avait des devoirs pour le lendemain- et pouvoir s’endormir tôt pour que le cerveau brasse et range correctement tout cela.
En gros c’est un peu comme cela que fonctionne notre mémoire même si les spécialistes des sciences neurocognitives et ceux des sciences de l’éducation peuvent nous expliquer les choses avec des mots beaucoup plus compliqués et entrer dans des mécanismes qui font intervenir différentes parties du cerveau dont on connaissait à peine la fonction quand j’étais enfant !
Les cartes heuristiques, une panacée ?
La différence est qu’aujourd’hui nous tentons d’aider chaque élève en lui donnant des trucs : par exemple ces « cartes heuristiques » (en anglais « mindmap« ) qui permettent d’aller retrouver dans notre mémoire un certain nombre d’idées reliées entre elles.
Effectivement ce truc est pertinent pour trouver avec quelles connaissances et quels arguments on va pouvoir nourrir une composition d’histoire ou de philosophie. C’est par ce type d’association d’idées qu’on retrouve et explore des idées.
Mais pour cela il va falloir auparavant les « encoder » comme diraient les informaticiens d’une manière qui permette de les retrouver facilement… sinon il n’y aura rien à retrouver ! Or dans ce monde surchargé d’images nos adolescents regardent et ont beaucoup de paresse à écrire. C’est aussi de notre faute, nous leurs distribuons de beaux documents mis en page au traitement de texte et qu’il ne nous a pas été difficile de faire reproduire ou de projeter à l’écran. Comme ils ne savent plus se taire et donc que la transmission de connaissances à l’oral devient de plus en plus difficile dans des classes bavardes et hétérogènes, nous nous sommes souvent rabattus sur ce support écrit.
C’est une bonne chose mais il est impossible de convaincre un élève qui a le polycopié d’un cours voire simplement le plan d’un cours qu’il est aussi nécessaire qu’il prenne des notes (et notamment recopie les titres qui correspondent à la colonne vertébrale de la leçon et sans lesquels les informations se « ramollissent » et perdent leur cohérence).
Au final la mémorisation ne peut fonctionner que si l’on répète et qu’on prendre le temps d’oublier pour ensuite revenir sur les mêmes choses. Mais il y a encore plus important : ainsi dans ma discipline scolaire l’histoire-géographie, les deux piliers de la mémorisation correspondent à la chronologie et aux localisations. Dit d’une d’autre manière c’est fixer les choses dans sa mémoire en les repérant dans l’espace et dans le temps. Voilà quelque chose qui ne surprendra certainement pas un prof de Maths. Ces gens là ne passent-il pas beaucoup de temps à dessiner des repères orthonormés (en 2 et 3 dimensions) pour pouvoir y repérer précisément des objets mathématiques dont ils analysent les propriétés ?
Chronologie, localisation et émotion !
Dit d’une manière plus simple, pour mémoriser une idée en histoire-géographie il faut réussir déjà à la fixer dans l’espace et dans le temps mais cela ne suffit pas. L’élément qui va nous permettre de retenir cette succession de coordonnées spatio-temporelles doit toucher notre cerveau reptilien, celui qui stocke nos émotions. Voilà pourquoi il nous faut raccrocher cela à des personnages historiques, à des images de vacances, à des souvenirs familiaux ou personnels… à un roman qu’on a lu, à une histoire qu’on nous a racontée, une anecdote qui nous a touchés.

Un fragment du Mur de Berlin exposé au Mémorial de Caen
Pour moi, le Mur de Berlin a à la fois l’âge de ma sœur aînée, est associé à un souvenir de camping à Berlin avec mes parents. Je me souviens avoir pleuré en regardant devant ma télé le 9 novembre 1989 en repensant à Adrian un ancien élève né à Leipzig en RDA qu’il avait quittée à 6 ans sans jamais pouvoir revoir ses cousins. C’est à cause de ces anecdotes que je suis capable de mémoriser des quantités de détails sur cet épisode historique sans aucune difficulté. Tout s’imbrique, tout prend sens.
Si au contraire cet épisode (« Mur de Berlin 1961-1989 ») n’était qu’un nom dans une liste à apprendre par cœur, qu’une photo qu’on n’a même pas pris le temps de regarder dans un livre d’histoire, mon intérêt n’aurait duré que quelques secondes avant que je ne passe à autre chose. Et la prochaine fois qu’on en parlerait devant moi serait comme si je découvrais à nouveau les choses.
Pour aller plus loin :
- Site pour faire des cartes mentales (c’est un site canadien bien fait) :
http://www.ebsi.umontreal.ca/jetrouve/projet/cartes_m/galerie.htm
- Les petites bulles de l’attention :
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