L’Antarctique, son statut, ses bases scientifiques : un petit décryptage

Un article assez factuel qui permet de poser les bases pour avoir envie d’en savoir davantage et notamment en quoi la recherche scientifique en Antarctique et la coopération internationale sont essentielles pour mieux comprendre les mécanismes climatiques du passé et du présent.

L’Antarctique : un continent immense et peu connu

Antarctique repérage (CLG 2021)

On pourra se reporter à ma petite vidéo de présentation de l’Antarctique

Voilà la carte que j’ai réalisée à partir du fond de carte muet de l’Antarctique trouvé sur Wikipédia. Je n’y ai indiqué que ce qui m’intéresse : visualiser sur cette carte en projection polaire l’étendue de ce continent immense (14 millions de km² -soit un peu moins que la superficie de la Russie qui est de 17 millions de km²), inhabité (sauf quelques bases scientifiques ce qui représente environ 1000 habitants en hiver et 5000 en été), couvert d’un inlandsis de plus de 3000 m d’épaisseur qui couvre la quasi totalité de cet espace mais aussi son éloignement (d’où la localisation des différents pays les plus proches : Argentine et Chili, Afrique du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande) ainsi que l’échelle.

Ce qui est déroutant pour comprendre cette carte c’est qu’on ne peut pas indiquer le Nord sur une carte en projection polaire, juste le pôle Sud. Le haut de la carte où est indiqué 0° correspondant à la longitude de Greenwich et c’est généralement ainsi que l’on visualise l’Antarctique.

J’ai aussi indiqué en bleu le cercle polaire antarctique qui se trouve à 66°33′ de Latitude Sud : effectivement au-delà de celle ligne on est une partie de l’année soumis à la « nuit polaire » (le soleil ne se lève pas à l’horizon). Enfin j’ai mis en rouge le 60° de latitude Sud car c’est la limite qui a été choisie lors de la signature du traité de l’Antarctique signé en 1959.

Voici une deuxième carte sur laquelle j’ai placé 4 bases parmi les bases scientifiques aujourd’hui présentes en Antarctique. Le fond de carte utilisé représente la situation pendant l’été austral : en bleu foncé l’inlandsis, en bleu clair les barrières de glace, en rose la terre nue.

cartographie CLG 2021 à partir du fond de carte Wikipédia

Qui s’est intéressé à l’Antarctique ? Le navigateur français Dumont d’Urville et la Terre Adélie (1840)

Il y a quelques années je m’étais intéressée à un navigateur français un peu oublié Dumont d’Urville qui a le premier posé un pied en Antarctique en 1840 et baptisé Terre Adélie l’endroit où il a planté le drapeau français pour le compte de la Monarchie de Juillet. (J’en ai tiré une petite nouvelle un peu décalée car ce grand navigateur surdoué a eu la malchance de mourir brûlé dans le premier accident de train alors qu’il rentrait de Versailles en 1842 -voir le dernier voyage du contre-amiral)

gravure tirée de l’ouvrage d’Arthur Mangin, Voyages et Découvertes outre-mer au XIXe siècle, illustrations par Durand-Brager, 1863 ː Découverte de la Terre-Adélie par Dumont d’Urville : on voit les 2 navires de l’expédition : l’Astrolabe (Dumont d’Urville l’a rebaptisé du nom du navire de La Pérouse) et la Zélie (à l’arrière-plan).

On n’est donc pas étonné si aujourd’hui la seule base française en Antarctique s’appelle base Dumont d’Urville, qu’elle se situe en Terre Adélie et que le navire ravitailleur s’appelle l’Astrolabe.

La base Dumont d’Urville en Terre Adélie (1956) : elle se situe sur le littoral à peu près au niveau du cercle polaire et à 140°de LE : c’est l’une des premières bases scientifiques elle remplace la précédente victime d’un incendie et qui existait depuis 1950

Le « vieil » Astrolabe : navire ravitailleur de la base Dumont d’Urville jusqu’en 2017 (c’est un brise-glace de 65 m de long construit en 1986 ; revendu il est utilisé par une organisation humanitaire américaine comme navire-hôpital en Papaousie-Nouvelle-Guinée). Il était affrété par l’Institut polaire Paul-Emile Victor (qui porte le nom de notre plus célèbre explorateur polaire Paul-Emile Victor (1907-1995)

Le nouvel Astrolabe en service depuis 2018 dans les TAAF (ici dans le port de Concarneau en 2017 où il a été construit). Il est un peu plus long que le précédent (72 m), dépend à la fois de l’Institut Polaire et de la Marine Nationale et a 3 missions : affirmer la souveraineté française aux Terres australes et antarctiques françaises ; assurer la surveillance des pêches dans leurs ZEE et contribuer au soutien logistique des bases scientifiques 120 jours par an (puisque le reste de l’année il est impossible d’accoster).

La course au pôle Sud : Roald Admunsen (1911) contre Robert Scott (1912)

Deux expéditions concurrentes vont partir à la conquête du pôle Sud en 1911, d’un côté le Norvégien Admunsen qui utilise des attelages de chiens de traineau et atteint le pôle Sud en décembre 1911 et réussit à rentrer sain et sauf, de l’autre le Britannique Robert Falcon Scott atteint le pôle en janvier 1912 (l’expédition utilise des véhicules motorisés, des chiens et de poneys) : ils meurent de faim et de froid au retour. Effectivement ils ont choisi la saison la plus favorable (l’été austral) mais le pôle se trouve à 1300 km du rivage.

Une carte des 2 expéditions vers le pôle Sud (attention la carte n’est pas orientée de la même manière que les 2 précédentes : en haut de la carte on se trouve à 180°LW ).l’expédition est partie depuis l’Ouest et la barrière de Ross).

L’année Géophysique internationale 1957-1958 : les débuts d’un intérêt scientifique international

Le traité de l’Antarctique de 1959

Les bases scientifiques en Antarctique aujourd’hui

La mieux située : la base américaine Amundsen-Scott au pôle Sud !

La base américaine Amundsen-Scott au pôle Sud (1956) et les drapeaux de certaines des premières puissances qui ont signé le traité : Etats-Unis, Norvège, Royaume-Uni, Belgique, Nouvelle-Zélande (il manque ici la Russie, la France, l’Australie, l’Argentine, le Chili, le Japon et l’Afrique du Sud)

Les nouvelles installations de la base Amundsen-Scott qui se situe au pôle à 2850 m d’altitude ; elle est reliée à la base américaine Mc Murdo (qui se situe sur l’île de Ross près de l’endroit d’où est partie l’expédition de Scott) par une route de 1600 km ; elle accueille 150 personnes en été et 45 en hiver

La base soviétique (puis russe) Vostok : la plus haute et la plus isolée du continent et les autres bases russes

Elle se situe en plein cœur de l’Antarctique, à près de 3500 m d’altitude dans la partie où l’inlandsis est le plus épais (ce qui permet de faire des carottage très profonds). Elle se situe à plus de 1200 km de la côte et remonte à 1957. Les conditions sont extrêmement éprouvantes pour les chercheurs (froid + altitude)

Station russe Vostok (le nom signifie « Est » en russe) remontant à 1957 et située à 3500 m d’altitude dans des conditions climatiques extrêmes et accueille au maximum 25 personnes

Une enveloppe commémorative datant de 1974 (source ici). On voit sur la carte les points correspondant aux 7 bases soviétiques de l’époque
Les bases soviétiques puis russes en Antarctique cartographie CLG 2021 (source des données ici)

Les nouvelles nations qui installent des bases en Antarctique

Là où les bases sont les plus nombreuses est sur l’île du Roi-George (une île de la taille de la Martinique) qui se trouve dans cette pointe qui fait face à l’Amérique du Sud. On y trouve des bases argentine et chiliennes (ce qui est assez logique) mais aussi péruvienne (« Machu Pichu« ), uruguayenne, brésilienne, la base russe de Belingshausen ainsi qu’une base chinoise (« Grande Muraille« ) et sud-coréenne (« roi Sejong« )

La base chinoise Grande Muraille sur l’île du Roi-George remonte à 1985, peut accueillir jusqu’à 80 personnes. Elle est ravitaillée par le brise-glaces chinois Xué Long (un navire de 167 m de long construit en Ukraine en 1993) qui effectue également des missions d’exploration dans l’Arctique.

La Corée du Sud dispose de 2 bases en Antarctique, la base du roi Sejong qui est la première (elle remonte à 1988 -ce qui est une année très symbolique pour le pays, celle des Jeux Olympiques de Séoul qui marque vraiment l’émergence du pays à l’échelle mondiale). Elle se situe sur l’île du roi George.

Le centre de Jang Bogo a été fondé en 2014 dans la baie de Terra Nova (164°LE). La Corée du Sud peut compter sur l’existence d’un brise-glace très récent (2009) le Araon (111 m de long). La base tire son nom d’un héros de l’histoire ancienne de la Corée à l’époque des « 3 royaumes » (entre le Ier et le VIIe siècle) qui a libéré la mer jaune des pirates (voir Un peu d’histoire ancienne de la Corée pour comprendre l’imaginaire actuel des Coréens). Ce nom inconnu est plus acceptable que le seul autre Coréen, héros de l’histoire nationale, l’amiral Yi Sun-sin qui a repoussé les Japonais au XVIe siècle) et dont la statue trône à côté de celle du roi Sejong (créateur de l’alphabet coréen) sur la grande avenue de Séoul. Car symboliquement l’Antarctique n’est pas un lieu où l’on affirme sa puissance militaire.

Le brise-glace sud-coréen Araon en train de ravitailler la station de Jang Bogo Terra Nova en décembre 2020 (source ici)

Conclusion provisoire

On peut être frappé à la fois par la coopération scientifique dans cette région du monde qui permet une bien meilleure connaissance du climat passé et actuel et par la compétition entre certaines nations pour être à la pointe en matière d’exploration de régions polaires (c’est le cas des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine ou de la Corée du Sud).

Le choix des noms pour les bases scientifiques et les navires ravitailleurs n’est pas du tout anodin.

Donner des noms de points cardinaux (Vostok = Est), d’explorateurs du passé (Dumont d’Urville, Bellingshausen, Scott), de valeurs universellement acceptable (progrès, union, amitié, paix pour les bases russes), de sites patrimoniaux (Machu Pichu classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, Grande Muraille) n’est pas la même chose que baptiser un lieu d’un nom de guerrier ou de conquérant du passé (comme quand on baptise un navire de guerre).

Apparemment en Antarctique les apparences sont sauves dans l’idée d’une coopération internationale de bonne volonté entre les grandes puissances scientifiques du monde.