La traversée de l’URSS à vélo sur les rails du Transsibérien !

La traversée de l’URSS à vélo sur les rails du Transsibérien ! Voilà un projet original réalisé par un jeune ouvrier français (Lucien Péraire) à la fin  des années 1920 et qu’il raconte, en espéranto, dans un petit ouvrage très confidentiel Tra la mondo per biciklo kaj esperanto (A travers le monde en vélo et grâce à l’espéranto) édité par le club d’espéranto d’Agen en 1990.

Lucien Peraire vélo-rail
Lucien Peraire et son « vélo-rail » sur le Transsibérien

Pourquoi utiliser un tel récit pour parler de l’URSS ?

Je me propose ici de reprendre quelques extraits de ce récit de voyage concernant cette traversée de l’URSS et de les « contextualiser » (faute de quoi cet article serait juste une suite de noms de lieux et de dates, sans qu’on puisse saisir ce qui est original, particulier, significatif dans ce que raconte Lucien Peraire. (C’est le cas dans l’article  de Wikipédia très factuel lui est consacré (article en français, espéranto et japonais).

Peu de récits sur la vie quotidienne en URSS à la fin de la « NEP »

Il existe en effet peu de récits décrivant, de manière concrète, la vie en URSS à cette époque, c’est-à-dire peu de temps après la mise en place du système soviétique, dans un contexte diplomatique où l’Europe occidentale s’apaise (ce qui explique que notre ouvrier français parte avec un compagnon de route allemand) mais où la construction de l’URSS pose de nombreux problèmes : les destructions de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile sont encore très visibles ; le rationnement subsiste et les relations avec la Chine sont délicates.

Mais on est encore dans la période que les historiens qualifient de « NEP » abréviation qui signifie « nouvelle politique économique », qui dure de 1921 à 1928 et qui marque une sorte de trêve dans la construction du communisme en URSS.

Quelques éléments indispensables pour comprendre la situation politique, économique et sociale en URSS à la fin des années 1920

Les quelques éléments qui suivent peuvent être « zappés » par les lecteurs qui, comme ceux de ma génération, ont étudié au lycée avec force de détails cette période de l’histoire de la Russie puis de l’URSS. Ce n’est plus le cas de mes lycéens d’aujourd’hui ce qui explique à mon avis qu’ils aient du mal à comprendre la Russie de ce début du XXI e siècle.

La Russie pendant la Première Guerre mondiale 

Rappelons que la Russie est entrée en guerre en août 1914 aux côtés de son alliée française (mais aussi du Royaume Uni, de la Serbie et de la Belgique) face à l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois (rejoints ultérieurement par  l’Empire ottoman). Le front est a été stabilisé à la fin 1914 après les batailles de Tannenberg et des lacs Mazurie.

La situation militaire des Russes et à l’arrière se dégrade considérablement en 1917 (à une période où tous les belligérants sont las. Les 2 grandes offensives de 1916, sur le front ouest, à Verdun et dans la Somme n’ayant rien donné.  Mais si Français, Britanniques et Allemands doivent faire face à des actes de mutineries ponctuels qu’ils réussissent à contenir en mêlant répression (fusillés) et assouplissement tout en continuant à être capables de gérer la logistique, en Russie tout se désorganise…

Les révolutions russes de 1917

Cela  aboutit en février 1917 à l’abdication du tsar et une première révolution qui met en place un gouvernement provisoire démocrate soucieux de réorganiser le ravitaillement correct des soldats et d’améliorer le sort  très difficile des ouvriers des deux grandes  villes (Petrograd la capitale -c’est le nom sous lequel on appelle désormais la ville de -Saint-Pétersbourg- et Moscou).

Hélas la situation militaire devient progressivement intenable suite à la désertion de nombreux soldats, attirés notamment par les rumeurs qu’ils entendent, suite au retour en Russie dès avril du révolutionnaire Lénine, qui espère mettre en place un régime communiste et veut donner la terre à ceux qui la travaillent (ce qui n’est pas du tout le cas dans la Russie de l’époque où le servage n’a été aboli qu’en 1861 et où la terre est la propriété de la noblesse et organisée en grands domaines).

La désorganisation du pays atteint son paroxysme et permet à Lénine en novembre 1917 de réussir un coup d’État avec son parti (le parti bolchévik) : c’est la « Révolution d’Octobre » (qui sera jusqu’en 1991 célébrée comme l’événement fondateur du nouveau régime).

paix de Brest Litovsk.jpg
Situation de la Russie au moment de la signature du traité de paix de Brest-Litovsk en mars 1918

Aussitôt Lénine négocie avec l’Allemagne un armistice très désavantageux (en décembre 1917) puis signe la paix très désavantageuse de Brest-Litovsk en mars 1918. La Russie trahit ainsi le traité d’alliance militaire signé en 1892 avec la France (par lequel elle s’engageait à ne pas signer de paix séparée). Mais, pour Lénine et ses partisans, cette guerre est une guerre impérialiste et ne concerne pas les ouvriers et paysans.

Cela va lui laisser le temps d’essayer de prendre réellement le pouvoir et de tenter de pacifier le pays car la Révolution bolchévique déclenche une guerre civile entre « rouges » et « blancs » (anciens partisans du tsar et démocrates qui sont notamment soutenus par la France), guerre civile qui va durer jusqu’en 1921.

A cette date (1921) le pays est exsangue mais les communistes ont gagné. Le tsar et sa famille ont été exécutes à Ekaterinbourg dans l’Oural (voir le passage sur cette ville rebaptisée Sverdlovsk du nom du révolutionnaire qui a assassiné la famille du tsar) (voir l’article sur la coupe de monde de football en Russie qui présente cette ville).

La mise en place de la NEP (c’est-à-dire la Nouvelle Politique Économique) par Lénine en 1921

Plutôt que de continuer des réformes radicales (confisquer la terre, les usines et plus globalement tous les moyens de production) et de porter la Révolution hors du pays, Lénine choisit de faire alors une pause et de laisser les paysans produire pour sortir de la situation de famine, les petits artisans, commerçants et artisans vaquer à leurs affaires. C’est cette politique qu’on appelle la « NEP » et qui va durer jusqu’en 1928.

Entre-temps Lénine décède en 1924 et c’est Staline qui se débrouille habilement pour éliminer ses rivaux (notamment Trotski qui s’exile au Mexique) et se retrouve à la tête de ce grand pays désormais appelé URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui suscite des réactions diverses.

Carte URSS en 1924
L’USSS en 1924 (source Université de Toronto). On voit qu’il manque à l’époque les Pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) à -qui sont indépendants- et la Moldavie -qui appartient à la Roumanie- par rapport à la situation d’après 1945. La situation de l’Asie Centrale n’est pas encore bien claire (absence du nom Kazakhstan… à l’époque on parle de république des Kirghizes et les Tadjiks n’ont pas de république)

L’expérience tente une partie des militants socialistes européens ce qui aboutit à la coupure des partis socialistes allemands, français et italiens. En France,  les modérés restent des « Socialistes » membres de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), les plus radicaux créent un nouveau parti : le PCF (Parti Communiste Français) en 1920 ; en Allemagne les modérés restent au SPD et les radicaux créent  le KPD parti communiste allemand dès 1917).

La collectivisation de l’économie soviétique à partir de 1928

Staline va alors mettre en œuvre un plan de conversion au communisme de toute l’économie du pays : collectivisation de l’agriculture avec la création de « kolkhozes » (coopératives agricoles) et de « sovkhozes » (fermes d’État) et déportation dans des camps de tous ces paysans « riches » qualifiés de « koulaks » et qui s’y opposent ; industrialisation massive du pays et notamment de l’Oural, de la Sibérie Occidentale.

Le point de vue de Lucien Peraire

L’intérêt du récit de Lucien Péraire est notamment qu’il émane de quelqu’un qui n’est pas particulièrement idéologisé (apparemment il n’est pas spécialement tenté par le communisme mais il a des contacts faciles avec les gens qu’il rencontre (ouvriers, cheminots).

Il raconte juste son ressenti : celui d’un jeune ouvrier français qui est curieux de voir le monde et, pour cela, considère que la bicyclette et l’espéranto sont deux moyens pour y parvenir.

Qui est   donc ce Lucien  Peraire  ?

Lucien Peraire n’est pas un aventurier comme on en trouve au XIX e siècle (ces fils de famille en rupture de ban). C’est juste un petit gars de la campagne, robuste, débrouillard et déterminé.

Il est né en 1906 dans le Lot-et-Garonne dans une famille nombreuse (4 garçons dont 2 morts pendant la Grande Guerre). Il fait donc partie de ces générations de gamins dont les effets indirects de la guerre bouleversent précocement la vie : son instituteur est remplacé par un étudiant en commerce qui lui apprend la sténo (apparemment Lucien est curieux et apprend vite) mais malheureusement dès 1917, il n’a que 11 ans, il doit quitter l’école pour aider son père aux champs. Parallèlement il donne aussi un coup de main au menuisier du village et au mécanicien de bicyclettes qui lui apprend ainsi à monter sa première bicyclette. Après la guerre, il est embauché par le menuisier, suit des cours du soir et fait un tour de France des compagnons passant par Tours, Paris, Lyon Bordeaux, Toulouse.

Il fait son service militaire avec la classe 1926 et apprend pendant cette période l’espéranto par correspondance. Il participe alors à son premier congrès d’espéranto  à Lyon en 1927, celui de SAT (Sennacia Asocio Tutmonda). Dans la revue Sennaciulo il trouve une annonce par laquelle un jeune espérantiste allemand (Paul Posern) cherche un compagnon de route pour une expédition à vélo jusqu’en Extrême-Orient.

Il est jeune (22 ans), dégagé de ses obligations militaires, a un métier qu’il peut exercer partout. Il saute sur l’occasion pour voyager !

A son retour en 1932 la vie de Lucien Peraire va être compliquée et ce n’est qu’en 1974 que ses notes sont publiées puis reprises par le club d’espéranto d’Agen pour une édition par SAT en 1990. Il décède en 1997.

C’est donc de ce petit fascicule de 106 pages en espéranto dont je tire la teneur de cet article.

L’expédition !

Paul Posern et Lucien Peraire  partent le 22 juillet 1928. Lucien ne rentre que 4 ans plus tard, le 28 juillet 1932 ! Quatre ans de voyage ! C’est plus long que les expéditions autour du monde du capitaine Cook ! Paul Posern n’ira pas si loin : il traversera le Caucase, passera par l’Iran, reviendra par l’Afrique du Nord en 1934.

Deux jeunes cyclistes

Voici nos deux jeunes gens posant devant leurs bicyclettes, vraisemblablement dans le studio d’un photographe : à l’époque on trouve différents types de décors pour des portraits. Les deux jeunes gens vont faire tirer des cartes postales qu’il vendront et dédicaceront, ce qui leur fournira un peu d’argent pendant leur périple.

Posern-Peraire.jpg
Paul Posern et Lucien Peraire posent (sans doute dans un studio de photo) avant le départ

C’est amusant pour nous aujourd’hui qui sommes habitués à des tenues « techniques » pour faire des expéditions à vélo, de découvrir ces cyclistes avec leur veste, chemise et cravate… Mais la photographie du début de l’article montre que progressivement Lucien adopte une tenue locale et plus pratique, telle qu’on en trouve dans l’Extrême-Orient soviétique, une sorte de blouse bouffante.

L’itinéraire emprunté

Il est un peu difficile à retrouver pour nous puisque les frontières de l’Europe orientale viennent de changer après la Première Guerre mondiale, changent à nouveau après la Seconde et rechangent avec la fin de la Guerre Froide et la dislocation de l’URSS après 1991.

Les changements de frontières de l’Europe orientale

Ainsi nos deux cyclistes entrent en Pologne, près d’une ville qui a eu plusieurs noms au XX e siècle  : aujourd’hui  Lviv, son nom ukrainien puisqu’elle se trouve en Ukraine mais aussi Lemberg (quand elle était dans l’Empire austro-hongrois jusqu’en 1918), Lwow (quand elle était en Pologne dans l’Entre-Deux-Guerres) et Lvov (quand elle devient soviétique après 1939 -avec le partage de la Pologne entre Allemands et Soviétiques- et jusqu’en 1991). (voir Lemberg, Lvow, Lvov, Lviv ou les vicissitudes des frontières occidentales de l’Ukraine)

Une Europe orientale moins développée

Dans cette Europe Orientale qu’ils traversent ainsi que dans l’Ouest de l’URSS, Lucien Peraire note deux éléments qui le frappent : visiblement la région est pauvre, peu peuplée : boue, chemins en terre, pas d’hébergement pour les voyageurs… On est loin de la multitude de petits chemins carrossables qu’on trouve en Europe occidentale…. Et cela va poser de gros problèmes techniques : comment faire du vélo dans un pays sans chemins ! D’où l’idée qui va émerger d’inventer son vélo-rail !

Pourquoi manque-t-il  tant de chemins ? est aussi une interrogation qu’on retrouve quand on évoque l’URSS et, parmi les réponses, il y a la question du climat : pourquoi s’éreinter à créer et entretenir des chemins qui disparaissent sous la neige tout l’hiver (il est alors beaucoup plus simple de circuler par exemple sur des cours d’eau gelés) et sont détruits au printemps par la « raspoutitsa » (la boue liée au dégel) et endommagés lors des gros orages de l’été continental. Seul le chemin de fer (puis plus tard l’avion) peut permettre de se déplacer en toutes saisons d’où l’importance que revêt le Transsibérien pour un pays comme l’Empire russe puis l’URSS.

Des minorités vivant en colonies fermée

L’autre élément noté est la présence de minorités juives,  allemandes, « tartares » (aujourd’hui on utilise le terme de Tatars voir l’article sur Michel Strogoff) qui vivent en « colonies hermétiques ». Ces minorités n’existent plus aujourd’hui : les minorités juives ont été exterminées lors du génocide nazi entre 1942 et 1945, les minorités allemandes ont été expulsées vers l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale ; les Allemands et Tatars de la Volga ont été déportés par Staline, accusés de sympathie avec les nazis. La plupart des descendants de ces Allemands d’URSS ont émigré vers la République Fédérale d’Allemagne après la fin de la Guerre Froide et obtenu la nationalité allemande.

L’entrée en URSS le 12 octobre 1928 : des formalités différentes pour le Français et l’Allemand.

Nos deux cyclistes sont obligés de passer la frontière en train et sont contrôlés par les autorités soviétiques. L’Allemand a droit à peu de formalités, le Français doit absolument défaire tout son paquetage : à cette époque les Soviétiques n’ont pas encore oublié que la France a, avec beaucoup d’énergie, soutenu les Russes blancs jusqu’à la fin de la Guerre civile en 1921. Cette différence de traitement entre nos deux voyageurs va aboutir à un moment du périple à leur séparation : l’Allemand peut entrer facilement dans les républiques soviétiques du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) pour essayer de rejoindre ensuite l’Iran. Le Français est stoppé et doit se rendre en personne à Moscou pour faire valider son passeport et son visa !

Les trains russes !

J’aime beaucoup la description qu’en fait Lucien Peraire (car elle fait écho à celle de mon récit de voyage de 1984 après une nuit de train entre Erevan et Tbilissi). Il évoque de larges wagons en bois, plus hauts qu’en France, dont le filet à bagage est remplacé par une tablette où l’on peut dormir, bien chauffés avec un contrôleur dans chaque wagon qui fait le ménage, maintient le bon ordre et prévient les voyageurs de leur arrêt. (Je me souvenais qu’il y avait aussi un samovar dans chaque wagon et la possibilité d’avoir du thé bien chaud)

Le rationnement (« porciumado » en espéranto)

Nos deux jeunes découvrent que la situation alimentaire est encore difficile en Ukraine à cette époque mais, malgré cela, ils sont chaleureusement accueillis. Et le récit raconte un nombre considérable de repas, souvent modestes mais très animés.

Odessa, la Crimée et Yalta

Les jeunes commencent leur incursion en URSS en descendant le long de la mer Noire. Lucien est frappé de voir qu’Odessa est encore largement en ruines .

Les deux jeunes atteignent la ville de Nikolaïev (aujourd’hui Mykolaïv en ukrainien) située sur le Boug qui se jette dans la mer Noire  à une soixantaine de kilomètres. Il s’agit d’une ville portuaire et industrielle qu’il décrit ainsi (je vais profiter de cet article pour y laisser quelques citations en espéranto, une manière également de montrer la précision de cette langue pour ce type de récit) :

« senfina boat-ponto, mast-arbaro, uzinoj kun  fumantaj kamenoj«  (des quais à perte de vue, une forêt de mâts, des usines aux cheminées fumantes).

Puis nos deux cyclistes traversent l’isthme de Perekop, un ruban de sable plus ou moins mouvant d’à peine 100 m de large, sorte de désert où l’on trouve des ossements animaux. Cet espace désertique est historiquement parcouru par des nomades caravaniers musulmans d’où la présence de minarets.

carte repérage Crimée
Une petite carte de repérage à partir du fond de carte de Wikipédia

Cet isthme, seule voie terrestre pour accéder à la Crimée (sur laquelle on trouve à la fois le port militaire de Sébastopol et la ville balnéaire de Yalta) a été pendant la Guerre civile puis ultérieurement pendant la Seconde Guerre mondiale un lieu de féroces affrontements.

A l’approche de Sébastopol, le paysage redevient plus familier et plus facile pour nos deux cyclistes : routes pavées bordées d’arbres, port pavoisé. Les deux jeunes arrivent ensuite à Yalta qu’ils décrivent ainsi :

« Antaŭ la revolucio Jalta estis la rendevuejo de la rusa aristokrataro, kiu lasis tie belajn vilaojn, palacojn, kazinojn. La soveta ŝtato transformis ĝin en ripozejon por la sovetaj laboristoj kaj eĉ por ia « elito » el fremdaj laboristoj. Tial nun frekventas ĉiujn tiujn  palacojn kaj ties parkojn amaso da popolanoj rekoneblaj pro siaj naciaj kostumoj sur la strato kaj pro sia haŭto sur la strando ankoraŭ vizitata en tiu sezona« 

(Avant la révolution Yalta était le rendez-vous de l’aristocratie russe qui y a laissé de belles villas, des palais, des casinos. L’État soviétique les a transformés en lieux de repos pour les travailleurs soviétiques et encore plus une certaine élite de travailleurs étrangers. C’est pourquoi aujourd’hui tous ces palais sont fréquentés par une grande quantité de peuples reconnaissables dans la rue à leurs costumes nationaux et à leur peau sur le rivage, encore fréquenté à cette saison) (on est fin octobre)

Cette description est intéressante car elle traduit très bien l’affectation de Yalta et plus largement du littoral de la mer Noire à partir de cette période à toutes sortes  colonies de vacances pour pionniers mais aussi de lieux de vacances pour travailleurs soviétiques qu’on va trouver jusqu’à la fin de l’URSS en 1991. Un certain nombre de jeunes enfants de dignitaires communistes français d’après la Seconde Guerre mondiale (comme Paul Thorez, le fils de Maurice Thorez) se souviendront de leurs vacances d’enfants dans ce type de centres de vacances.

Vue de Yalta
Vue de la baie de Yalta aujourd’hui : un site exceptionnel au bord de la mer Noire

Après l’escale de Yalta nos deux cyclistes poursuivent avec l’intention de rejoindre Novorossisk et d’entrer dans les républiques du Caucase via l’isthme de Kertch puis par bateau (aujourd’hui il y a un très long pont de plus de 18 km inauguré en 2019.

Mais c’est là que leur chemin va se séparer car Paul, l’Allemand est autorisé à entrer en Géorgie puis à poursuivre jusqu’à Bakou en Azerbaïdjan au bord de la mer Caspienne tandis que Lucien doit aller d’abord à Moscou faire valider son passeport.

Quand il rentre la saison est trop avancée : il est impossible de circuler à vélo dans la neige et la tempête. Il reste tout l’hiver à Novorossisk et se fait embaucher comme menuisier dans une entreprise soviétique Autopromptorg.

Il ne repart qu’en avril et n’a pas d’autre moyen que de prendre le train pour Krasnodar (qui est le nouveau nom d’Ekaterinodar) puis Stalingrad (qui est, depuis 1925, le nouveau nom de Tsaritsyn) située au bord de la Volga et rebaptisée  Volgograd en 1961) (voir ce qui en est dit dans l’article sur la Coupe du monde de foot 2018.)

A partir de là il va suivre la voie de chemin de fer jusqu’à Vladivostok, faute de trouver d’autre chemin et inventer un système pour rouler à vélo sur la voie ferrée.

Stalingrad est dans un piteux état au printemps 1929. Elle ne s’est pas encore relevée de l’incendie de 1912 (500 maisons en bois avaient brûlé) ni de la guerre civile. Il n’y a pas d’égouts et beaucoup de porcs et de chiens errants. Mais le centre commence à être reconstruit avec des rues bitumées, des maisons modernes, la cathédrale.

Lucien Peraire  assiste le 1er mai 1929 à Nikolaïevsk à une grande parade avec des chars tirés par des chameaux avec des effigies ridiculisant Chamberlain, Mussolini et la Société des Nations ainsi que Trotski (qui vient de partir en exil).

Il parvient ensuite à Kazan et c’est à partir de là qu’il va mettre au point son système permettant de rouler sur la voie du Transsibérien et obtenir pour cela une autorisation officielle pour poursuivre ainsi son voyage.

On retrouve là l’itinéraire du Michel Strogoff (voir l’article précédent ) : il passe à Ekaterinbourg qui vient d’être rebaptisé Sverdlovsk et où il note l’existence d’un musée de la Révolution dans la maison où Nicolas II et sa famille ont été exécutés par Sverdlov. Il atteint Irkoutsk près du lac Baïkal mais le contexte géopolitique l’oblige à repartir vers l’Ouest jusqu’à Novosibirsk : il y a à cette époque un conflit entre Soviétiques et Chinois sur la frontière mandchoue au niveau de l’Amour.

Cela l’oblige à passer un deuxième hiver à travailler en URSS  comme charpentier en usine (il fait moins 45 ° C dehors !). Ce n’est qu’en mai 1930 qu’il reçoit son passeport et va pour poursuivre sa route et passer en Chine. Il traverse la Mandchourie y notant des traces de guerre sur la frontière et notant que la grande ville d’Harbin (aujourd’hui chinoise est occupée pour moitié par des Soviétiques et pour moitié par des Japonais).

Ce n’est qu’en juillet 1930 qu’il atteint Vladivostok. Il va y laisser son appareil au musée de l’Automobile Club ! Il rencontre un grand succès là bas où il est présenté comme le premier homme à avoir traversé le continent de l’Atlantique au Pacifique à bicyclette.

Le voyage se poursuit ensuite en Chine et au Japon… Nous en parlerons peut-être une prochaine fois. Mais ce qui me m’intéressait dans ce récit est la partie soviétique de voyage. J’ai tenté de mettre en avant la difficulté, la longueur d’un tel trajet, les problèmes liés à l’hiver et à l’absence d’autre moyen de transport sur de grandes distances que le Transsibérien.

carte du Transsibérien.jpg
Carte du Transsibérien en 1902 qui traverse comme on le voit la Mandchourie (mais à cette époque la Chine est tellement affaiblie politiquement -et elle le restera jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale- que les Russes ont pu tranquillement exercer une influence économique importante sur cette province qui va être ensuite annexée par le Japon en 1931
Transsibériens
Carte actuelle des variantes du Transsibérien : en jaune celle qui traverse la Mandchourie -et qu’emprunte Lucien Peraire en 1930, celle en rouge qui est la classique suivant l’Amour et qui atteint Vladivostok, celle en vert appelée BAM (Baïkal Amour Magistral) le grand projet toujours remis à plus tard de l’URSS des années 1980 et le violet le tronçon qui traverse la Mongolie et rejoint directement Pékin

Pour aller plus loin :

Mission de la section photographique et cinématographique de l’armée en Sibérie et en Russie du Sud 1918-1919

(Il s’agit d’un long article-27 pages- avec de nombreuses photographies réalisées par une équipe de photographes de l’armée française qui a appuyé les Russes blancs face aux Bolchéviks avant de se rembarquer à Vladivostok).

Voyage en Transsibérien

(un blog personnel qui raconte un voyage en Transsibérien efffectué en 2015 avec de nombreuses photographies et commentaires)

Pour ceux que l’espéranto intéresse, une petite présentation personnelle en 2 parties

11 réflexions sur “La traversée de l’URSS à vélo sur les rails du Transsibérien !

  1. Pingback: La Russie, un État eurasiatique en recomposition | amnistiegenerale

  2. Pingback: A propos de la Russie et de l’URSS | amnistiegenerale

  3. Pingback: A propos de la Chine et du Japon | amnistiegenerale

  4. Pingback: La Crimée est-elle russe ? | amnistiegenerale

  5. Pingback: La Russie : une petite introduction | amnistiegenerale

  6. Pingback: Zamenhof Tago 15 Decembro 2021 | amnistiegenerale

  7. Pingback: Lemberg, Lvow, Lvov, Lviv ou les vicissitudes des frontières occidentales de l’Ukraine | amnistiegenerale

  8. Pingback: La Nouvelle-Calédonie et la guerre en Ukraine : mon progressif désintérêt pour une cause si lointaine ? – Une Khâgne aux antipodes

  9. Pingback: Michel Strogoff et le télégraphe : comment traverser la Russie au XIX e siècle ? | amnistiegenerale

  10. Pingback: L’Europe orientale : quelques repérages simples pour pouvoir faire un peu de géopolitique ? | amnistiegenerale

Laisser un commentaire