Dans la thématique concernant les frontières du nouveau programme de HGGSP (Histoire-Géographie-Géopolitique et Sciences Politiques) de Première apparaît la question du nouveau droit de la mer et de la création des ZEE (Zones Économiques Exclusives).
C’est une question intéressante et importante, rappelons toutefois que les 7,7 milliards d’êtres humains qui peuplent notre terre vivent sur des terres émergées (qui couvrent 1/3 de la planète) et non sur les océans (qui en couvrent les 2/3) ! Il faut peut-être relativiser l’importance économique et géopolitique des espaces maritimes, en mettant davantage l’accent sur l’importance considérable de certaines zones littorales très peuplées dans l’économie et la géopolitique mondiales.

Source Wikipédia

Source : Wikipédia
Qu’appelle-t-on nouveau droit de la mer ?
Un certain nombre de dispositions qui ont été adoptées en 1982 lors d’une Conférence qui a eu lieu à Montego Bay (Jamaïque) et a notamment entériné la création de ZEE (zones économiques exclusives) au profit des États côtiers.
La Conférence de Montego Bay et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer : 1982
Montego Bay est une station balnéaire située en Jamaïque. Cet État, indépendant depuis 1962, anglophone, membre du Commonwealth, se situe dans la mer des Caraïbes au Sud de Cuba. Il compte environ 2,8 millions d’habitants dont près d’un million dans la capitale Kingston.

Montego Bay, station balnéaire de Jamaïque en mer des Caraïbes, un lieu paradisiaque pour signer un accord international délicat ?
C’est à Montego Bay qu’a été signée la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer dont les travaux avaient commencé à New York en 1973 et qui se sont achevés au soleil de la Jamaïque le 10 décembre 1982.
À vrai dire, les délégués avaient déjà commencé à travailler sur le droit international de la mer dès les années 1950 et conclut des accords notamment concernant la haute-mer (1958). L’accord de Montego Bay marque une avancée majeure en ce sens qu’il définit la notion de ZEE dont nous allons parler.

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (Montego Bay) entrée en vigueur en 1994 En bleu : ceux qui ont signé et ratifié (l’UE est en bleu foncé car les pays ont signé et ratifié mais l’U.E. l’a également fait). En rose ont signé et pas ratifié. En rouge n’ont pas signé.
Il est fréquent qu’on recherche un endroit agréable pour négocier des accords internationaux en espérant que la beauté des paysages, la qualité de l’hébergement et de la nourriture, la présence de distractions permettra aux négociateurs d’accepter de faire des concessions par rapport à leur position initiale et de signer un texte qui est forcément un compromis entre des positions divergentes.
Une ratification tardive : 1994
Si la convention a été signée en 1982, rappelons aussi qu’un accord international doit être « ratifié » (c’est-à-dire confirmé par chacun des pays signataires et que, dans un pays démocratique, si c’est le chef d’État -ou son représentant- qui signe le traité, la ratification doit être faite par les représentants des citoyens (ex. en France ratification par le Parlement -Sénat + Assemblée Nationale- ) ou les citoyens directement (référendum) (ex. aux États-Unis ratification par le Sénat).
C’est pourquoi cette convention a mis longtemps à entrer en vigueur (il fallait pour cela que 60 pays aient déjà ratifié) ce qui n’est intervenu qu’en 1994.
On remarquera aussi que certains pays n’ont pas signé. C’est le cas des États-Unis qui n’ont pas non plus signé les accords internationaux concernant l’environnement et le changement climatique !
Donc cette notion de ZEE n’est effective que depuis environ 25 ans ce qui est peu et explique pourquoi, dans certaines régions du monde, soit on n’a pas pris la mesure de ce changement, soit on se chamaille sur le papier pour des droits dont les retombées économiques et géopolitiques réelles sont peut-être nulles !
Les notions d’eaux territoriales et de ZEE (Zone Économique Exclusive)
Un schéma est nécessaire pour comprendre la logique de ce nouveau droit de la mer et ce qui change par rapport à la situation traditionnelle depuis des siècles.

Schéma expliquant comment est délimitée la ZEE
Les eaux territoriales : le prolongement du territoire terrestre
Chaque État côtier dispose depuis son trait de côte d’une bande de 12 milles de large correspondant à ses eaux territoriales. Autrefois -avant la signature de la Convention de Montego Bay- ces eaux territoriales étaient moins larges (3 miles).
Rappelons qu’un mille marin est une mesure de distance utilisée dans la marine valant 1852 m (et différent du mile -unité de longueur anglo-saxonne- qui représente 1609 m) Donc la largeur des eaux territoriales est d’environ 22 km.
Les eaux territoriales sont le prolongement naturel du territoire terrestre. Quiconque s’y aventure sans autorisation est considéré comme ayant violé la frontière de l’État. Ainsi si un navire de guerre pénètre dans les eaux territoriales de son voisin c’est considéré comme un acte de guerre (ou au minimum une provocation s’il s’échappe immédiatement).
Tout navire de commerce ou de tourisme doit signaler sa présence aux autorités dès qu’il veut pénétrer dans les eaux territoriales, faute de quoi il risque d’être arraisonné par les vedettes des gardes-côtes et sa cargaison inspectée, éventuellement taxée voire confisquée, ses occupants arrêtés !
Certains pays contrôlent particulièrement leurs frontières maritimes (ex. les États-Unis qui craignent l’arrivée de migrants illégaux mais aussi de trafiquants de drogue).
Le problème des détroits internationaux : un statut dérogatoire permettant au navires de commerce de passer facilement
Toutefois il existe des zones étroites (des détroits) qui ont un statut international : on peut y circuler sans demander l’autorisation des pays côtiers. C’est le cas du détroit de Gibraltar, des détroits danois, du Pas-de-Calais, du Bosphore et des Dardanelles, du détroit d’Ormuz…
Il est logique qu’on permette aux navires de commerce d’y circuler librement puisqu’ils sont obligés de passer par ces détroits, près des côtes (à moins de 22 km souvent c’est-à-dire a priori de ce qui serait dans les eaux territoriales des États voisins).
Tout au plus peut-on imposer des règles de circulation (ex dans la mer de la Manche, il y a un sens obligatoire pour monter et pour descendre pour éviter les collisions). C’est aussi le cas dans le détroit d’Ormuz très fréquenté qui se trouve entre l’Iran au Nord et le sultanat d’Oman au Sud et permet aux pétroliers d’accéder au Golfe arabo-persique. (voir cet article assez pointu de l’IRIS -Institut de Reclations Internationales et Stratégiques-, qui est un « think tank » français créé en en 1991 par Pascal Boniface, spécialiste de géoppolitique et porte sur le statut juridique du détroit d’Ormuz)
Le principe de la libre circulation et de la coopération en haute-mer
Au-delà des 12 milles marins la circulation des navires est libre mais pour autant un navire n’a pas le droit de faire n’importe quoi. Un droit coutumier de la mer s’est établi en effet depuis des siècles et s’est codifié en 1982.
On peut retenir l’obligation de porter secours à un navire en difficulté (dans la mesure de ses moyens), l‘interdiction de la piraterie et le droit d’arrêter un navire pirate (y compris de le poursuivre dans les eaux territoriales), l’interdiction de polluer.
La ZEE : une notion d’intérêt économique
La ZEE est l’espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources. Il s’étend sur une largeur de 200 miles marins (environ 370 km) à partir du littoral.
Si jamais cet État peut prouver qu’au-delà des 200 miles on se trouve encore dans la zone du « plateau continental » (c’est-à-dire que les profondeurs restent limitées et qu’on n’est pas dans une fosse océanique très profonde), l’État côtier peut obtenir une extension de sa ZEE jusqu’à 350 miles (560 km).
Quelles sont les conséquences de cette définition ?
États côtiers et États enclavés
Seuls les États côtiers peuvent prétendre avoir une ZEE. Par conséquent si on regarde une carte du monde, les États enclavés (qui n’ont pas de littoral) ne disposent pas de ZEE.
Or il s’agit le cas d’un nombre relativement limités d’États, le plus souvent pauvres et sans poids géopolitique. C’est le cas de : Bolivie, Paraguay ; Mali, Niger, Tchad, Soudan du Sud, République Centrafricaine, Ouganda, Rwanda, Burundi, Zambie, Malawi, Zimbabwe, Botswana ; Kosovo, Serbie, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Moldavie, Belarus ; Afghanistan, Népal, Bhoutan, Laos ; Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan, Kirghizistan et Kazakhstan (ces 5 États n’existaient pas à l’époque de la Convention de Montego Bay, c’étaient des Républiques appartenant à l’URSS).
Ils auraient préféré que les ressources des ZEE reviennent à l’humanité toute entière et non aux États côtiers, mais ils n’ont pas eu beaucoup de poids dans les discussions.
Quelles sont les ressources présentes dans les ZEE ?
Ressources halieutiques
D’abord des ressources dites « halieutiques » , cet adjectif savant d’étymologie grecque signifie simplement « ressources de la mer » bref tout ce qui concerne la pêche !
La pêche est libre en haute mer (sauf cas particulier d’espèces interdites comme la baleine par exemple) mais dans les ZEE elle est réglementée par l’État côtier.
C’est ainsi que certains pays pauvres qui n’ont pas de gros bateaux de pêche peuvent accorder des droits de pêche à des flottes étrangères : ex la Mauritanie au large de laquelle passe un courant froid qui favorise la concentration du plancton et donc des poissons.
Malheureusement il y a des tricheurs – ces gros navires de pêche industrielle chinois, japonais, russes et sud-coréens qui pillent les ZEE des pays en voie de développement sans moyens ! Personne n’est présent pour les verbaliser dans des espaces immenses et déserts.
Ressources du sous-sol : pétrole et gaz
Ensuite on trouve des ressources du sous-sol marin et qu’on peut exploiter « off-shore » à l’aide de plateformes de forages du pétrole et du gaz. Les techniques se sont considérablement développées ces dernières années mais elles sont compliquées, coûteuses et potentiellement très polluantes en cas d’accident (voir l’article sur l’Angola et le pétrole)

La plateforme pétrolière de Kaombo Norte inaugurée en février 2019 au large de la côte angolaise par le groupe français Total : un exemple du gigantisme des infrastructures pour l’exploitation du pétrole off-shore à très forte profondeur – 3000 m- et des montages financiers complexes (voir l’article de Capital)
Nodules et sulfures polymétalliques
On trouve aussi au fond des mers des nodules polymétalliques mais leur exploitation est pour l’instant tellement coûteuse qu’on n’a pas commencé à les exploiter, peut-être ne le fera-t-on jamais car il est beaucoup plus aisé de creuser une mine sur terre que de mettre en place un système pour aller racler le fond de la mer à grande profondeur ! (voir l’article suivant sur le projet canadien Solwara 1)
La notion de droits souverains
Les États côtiers y ont des droits souverains (qui n’appartiennent qu’à eux mêmes) en matière d’exploration et d’exploitation mais ils ont le droit de les céder moyennant une compensation financière à d’autres États qui sont en mesure d’explorer leur ZEE ou d’en exploiter les ressources.
Par exemple l’Angola a en partie confié ses droits d’exploration et d’exploitation à de grandes entreprises transnationales comme le groupe français Total.
Par exemple la Mauritanie a négocié des accords avec le Sénégal en matière de pêche.
Pour aller plus loin un article beaucoup plus technique du site de Géoconfluences : mesurer les ZEE
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